la culture au pas de course
Alain Korkos - - 0 commentaires
Un article publié le 12 mai 2011 par le Frankfurter Allgemeine Zeitunget partiellement traduit en français le 18 mai sur le site Presseuropnous informe que notre temps est désormais compté dans les expositions organisées par les musées. Julia Voss, auteure de l'article, prend pour exemple la prochaine exposition Léonard de Vinci, peintre à la cour de Milan qui aura lieu à la National Gallery de Londres du 9 novembre 2011 au 5 février 2012.
Le futur visiteur est prié "de lire attentivement notre site Web et de s’informer avant sa visite", prévient la National Gallery, et "de réserver suffisamment tôt et de se préparer correctement". "Autrement dit, écrit Julia Voss, on conseille au visiteur de lire plutôt que de regarder : une fois que l’on connaît bien Léonard, quel intérêt de passer des heures devant ses tableaux ?" Et elle en déduit que l'exposition ayant prévu d'accueillir cent quatre-vingts visiteurs toutes les trente minutes, il sera impératif que ceux-ci ne consacrent pas plus de quatre minutes et dix-sept secondes à la contemplation de chacune des sept zeuvres zexposées pour la modique somme de seize livres grand-bretonnes, soit dix-huit euros.
Portrait de Cecilia Gallerani ou la Dame à l'hermine
par Léonard de Vinci, vers 1483-1390
huile sur bois, 55 x 40 cm
Musée Czartoryski, Cracovie, Pologne
(sera visible à l'expo de Londres)
Calcul un peu hâtif, rétorque la National Gallery, car "les visiteurs peuvent (…) rester aussi longtemps qu'ils le veulent dans l'exposition".
Sauf que tel un piston dans une seringue les cent quatre-vingts visiteurs suivants vont invariablement pousser dehors les cent quatre-vingts précédents et ils seront aidés en cela par l'architecture de l'exposition qui ressemblera très probablement puisque c'est une tendance lourde à un long couloir à sens unique peut-être dépourvu de sièges dans lequel les visiteurs se presseront et attention si vous avez des velléités de vous attarder devant un chédeuvre ou de rebrousser chemin il y a quelqu'un juste derrière qui attend c'est le piston de la seringue et de toute manière il n'a pas le choix car déjà ça pousse derrière lui il n'y peut rien vite vite dépêchez-vous avancez avancez dans le couloir allez allez jusqu'au bout jusqu'à l'inévitable boutique éclairée de mille feux où vous achèterez sinon le catalogue au moins des cartes postales
afin de regarder tranquillement chez vous les zeuvres que vous n'aurez pas eu le temps d'admirer à l'expo de toute façon il y avait un de ces mondes on se demande pourquoi on nous oblige à réserver à l'avance si c'est pour se retrouver entassés comme à la station RER Châtelet-Les Halles à 17h45 et n'oubliez pas prenez un stylo pour tonton Georges avec le Mannepaouère dessus
il sera content tonton Georges et le bouquet de fleurs de Léonard pour tatie Huguette comment ça le bouquet de fleurs de Léonard mais ça n'existe pas le bouquet de fleurs de Léonard et alors ce n'est pas un problème la National Gallery l'a inventé pour vous et pour tatie Huguette mais oui allez lire par là comment elle justifie cette sublime création florale léonardesque
c'est merveilleux et puis pensez à tatie Huguette elle sera contente tatie Huguette d'avoir le bouquet de fleurs de Léonard voilà vous n'avez rien oublié la cravate Léonard l'agenda Léonard le miroir Léonard ça ne vous dit vraiment rien mais bien sûr que nous acceptons la carte Visa internationale veuillez taper votre code on se dépêche on se dépêche au revoir et merci, personne suivaaante !
Dans Bande à part, Jean-Luc Godard évoquait un certain Jimmy Johnson, de San Francisco, qui avait mis 9 minutes 45 secondes pour visiter le musée du Louvre. Les héros de son film décidèrent de faire mieux :
C'était en 1964. Un record vieux de quarante-sept ans, qui ne demande qu'à être battu !
L'occasion de lire ma chronique intitulée Et si la Joconde était un Jocond ?