Koons, Mister Too Much chez les Français

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Regardez ce Monsieur bien sage, sur le plateau du Grand Journal.

Regardez sa coiffure, sa posture, son costume, sa rosette de la Légion d'honneur. Qui est-ce ? Un député du Loir et  Cher, soutien de Bruno Le Maire ? Un directeur de banque qui vient dénoncer un système d'évasion fiscale ? Non. C'est Jeff Koons. Qui donc ? Le Jeff Koons des chiens saucisses à Versailles, de Popeye, de Michaël Jackson, et de la Cicciolina ? Oui. Lui-même. Ah. Il ressemble à ça ? Oui. Il s'asseoit comme ça ?  Oui. Et il porte la Légion d'honneur, pour de vrai ? Apparemment, oui.

Dernier avatar du prodige US en tournée à Paris, figure connue, voici Jeff Koons au carrefour géométrique de la reconnaissance institutionnelle française, un pied à Beaubourg, un autre chez Antoine de Caunes. La France s'est mise en quatre pour accueillir Mister Too Much. Car la France n'est pas dupe. Elle sait qu'elle accueille à la fois un provocateur déjanté, et un homme d'affaires, dont les montants des ventes chez Christies donnent le vertige. Elle le sait, elle le dit, elle le répète, elle tourne autour de cette dualité, émoustillée comme un chien autour d'une saucisse. Il faut lire le critique d'art du Monde, Philippe Dagen, dans un excellent portrait, tentant de percer le secret de la diabolique dualité, alors quoi, Koons, artiste bien que businessman, artiste parce que businessman, avant de conclure d'un triomphant eurêka : j'ai compris, l'artiste a été pris en otage par le businessman !

Mais quel est le vrai sujet ? Le costume-cravate de Jeff Koons, ou notre stupéfaction devant ce costume-cravate ? Ce que nous renvoie l'image de Koons, c'est notre attente pavlovienne de l'image du déjanté, notre attente d'un Warhol ou d'un Dali, d'une créature de folklore, d'excès, de provoc. Or voici un cadre sup', exactement aux antipodes de toute excentricité. Il s'est dessiné, sculpté, dans toutes les positions imaginables avec la Cicciolina, et le voilà dans ce costume de banquier, rosette de la Légion d'Honneur à la boutonnière. Ah, notre tête ! Notre tête de bourgeois du XIXe au salon des impressionistes ! Il nous faut un peu de temps, avant de nous souvenir que toute prose sur Jeff Koons, toute interrogation sur Jeff Koons, toute indignation devant l'obscénité décomplexée de Jeff Koons, est évidemment incorporable à l'oeuvre de Jeff Koons. Nous ne sommes pas seulement son public perplexe ou admiratif, ses acheteurs pour les plus riches d'entre nous, mais son sujet.

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