Kerviel, l'information atomisée

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Boum ! Depuis hier soir, Mediapart fait mousser sur les réseaux sociaux le "témoignage d'une commandante de police

qui fait exploser le dossier Kerviel". Rien de moins. Devant un juge d'instruction, Nathalie Leroy, commandante de la brigade financière qui a enquêté sur l'affaire, a expliqué, le 9 avril dernier, que la Société Générale avait tout fait pour détourner son enquête d'éventuelles responsabilités des supérieurs de Kerviel dans les manipulations qui ont coûté près de cinq milliards d'euros à la banque.

On connait les camps en présence, dans la bataille d'info que se livrent Kerviel et la banque. Soutenu par Mediapart et par des politiques, comme Mélenchon, Kerviel ne cesse de plaider que ses supérieurs étaient au courant de ses manipulations frauduleuses. Soutenue par la plupart des chroniqueurs judiciaires ayant assisté aux procès qui ont deux fois condamné le trader, la Société Générale martèle l'erreur individuelle. Entre les deux, pour les journalistes spécialisés, pas de salut. Comme dans tous les grands faits divers, il faut être d'un camp, ou de l'autre. Pour avoir simplement repris ici quelques passages d'une enquête de Mediapart, l'an dernier, je m'étais fait fusiller pour complotisme par les anti-Kerviel. A l'inverse, ces mêmes anti-Kerviel sont couramment traités d'infâmes complices des banques.

Que trouve-t-on dans la nouvelle salve des pro-Kerviel ? Les lecteurs intéressés tenteront de se faire leur opinion sur ce qui est solide, ou pas. L'élément le plus impressionnant du témoignage de la policière est celui-ci : «Lors du délibéré, dans les couloirs, j’ai assisté à une conversation d’une dame qui se présentait comme étant aux ressources humaines de la Société générale encore actuellement, qui ne pouvait donc se manifester et qui disait qu’elle était ulcérée que Jérôme Kerviel serve de fusible. Ne sachant comment comprendre ses propos, je me suis présentée à elle en tant que commandant de police à la brigade financière. Elle m’a dit se nommer G. C.. (…) Tout en connaissant ma qualité, elle a surenchéri en m’expliquant qu’en janvier 2008, après la découverte des faits, Frédéric Oudéa, à l’époque directeur financier, avait “séquestré” un certain nombre de cadres afin de leur faire signer un engagement de confidentialité de tout ce qu’ils avaient pu apprendre et qu’ils s’engageaient même à ne pas en parler à leur propre conjoint. De ce qu’elle me disait, la plupart des personnes ont signé cet engagement».

Diable ! Des cadres "séquestrés" par le directeur financier (et aujourd'hui PDG) de la banque ! Et la policière ne l'apprend que par une conversation de couloirs, pendant une suspension d'audience du procès ! Réplique immédiate, avec une apparence de vraisemblance, de la blogueuse-journaliste Aliocha, franc-tireuse des anti-Kerviel : "Si le directeur financier fait signer un accord de confidentialité au moment de la découverte des faits, c'est l'application d'une obligation du droit boursier en matière d'information privilégiée, pour éviter les délits d'initiés. Cela n'a rien à voir avec l'interprétation de la policière".

Au-delà des faits, qui feront peut-être l'objet d'un troisième procès, l'intéressant, ici, est la persistance de ce climat de guerre médiatique entre journalistes confirmés. Evidemment, les uns ne sont pas plus complotistes que les autres ne sont achetés par l'or de la Société Générale. Plus simplement, ce dossier financier complexe est d'abord l'otage d'une sorte d'idéologie low cost, réduite à un sondage binaire (pour ou contre les banques ? Pour ou contre la Justice ?) Puis, les camps étant constitués, leur motivation première, plutôt que la recherche patiente et douloureuse de la vérité, devient la démolition des arguments du camp d'en face. On ne sait pas si le dossier Kerviel va exploser, mais l'information est atomisée.

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