Kadhafi, BHL, et la question sans réponse
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesAllons, avouez: quelle vidéo préférez-vous ?
Quand il est encore debout, ensanglanté, porté, molesté, par les combattants qui vont le lyncher ? Quand il gît à l'arrière de la camionnette, agonisant ou déjà mort ? Laquelle avez-vous davantage regardé, pour tenter de déchiffrer sur les plans saccadés les indices de la mort ou de la vie ? Combien de fois avez-vous regardé chacune d'entre elles, jeudi après-midi, pour tenter de les raccorder entre elles, de reconstituer l'impossible fil chronologique des dernières minutes de la vie de Kadhafi ? Kadhafi après Ben Laden, après Saddam Hussein: derniers instants filmés par les soldats, les combattants, les bourreaux, et livrés bruts, en rushes, avant montage, à la planète. Profusion d'images qui n'épuiseront jamais les points d'ombre, les questions.
Il n'y aura jamais de procès Kadhafi: cela n'arrange-t-il pas beaucoup de monde, des gouvernements occidentaux aux compagnies pétrolières ? Cette question que chacun se pose, Patrick Cohen la pose à BHL. Car BHL est là, ce matin, sur France Inter, on se réveille avec lui après avoir soupé hier soir en sa compagnie sur Canal+ et France 2. Qui dit Libye dit BHL (comme le regrette sur son compte Twitter Vanessa Descouraux, journaliste d'Inter plusieurs fois envoyée spéciale dans les révolutions arabes: "dommage, on aurait pu inviter quelqu'un qui connait la Libye et les Libyens.") Mais il faut que BHL soit là, pour éviter que les questions soient posées. Attention! avertit immédiatement BHL à l'adresse de Cohen. Vous êtes tout près de la théorie du complot ! Vous n'y êtes pas encore, mais vous vous approchez de la zone interdite. Kadhafi a été achevé par des jeunes gens sympathiques et un peu énervés, il faut les comprendre, je le regrette, tout le monde le regrette, le CNT le regrette, je le sais, je leur ai parlé, mais c'est ainsi, on ne fait pas d'omelette, etc. BHL n'interdit rien, ne censure rien, il n'est pas maire de Puteaux, il ne va pas tenter de faire acheter tous les exemplaires de France Inter dans les transistors, mais il est là, ce matin, pour borner les curiosités, en plein jour, au vu et au su de chacun, puisque c'est ainsi qu'il sied de procéder.
Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Oui, l'hypothèse du lynchage dans l'ivresse de la capture, dans la fureur de la victoire, est évidemment plus vraisemblable que celle de l'ordre d'exécution donné et suivi par une autorité centrale, mais on pourrait tenter de savoir. On pourrait suggérer au CNT de mener une enquête officielle sur les circonstances de la mort de Kadhafi. Il devait bien, dans les parages, se trouver des éléments de ce qu'on peut appeler une armée régulière, puisque BHL confesse avoir téléphoné dans la nuit "au colonel dont dépend l'unité qui a arrêté Kadhafi". On ne le fera pas, personne ne le demande, personne n'en émet même l'idée. On ne saura sans doute jamais. Et resteront donc face à face, comme toujours, BHL et les questions sans réponse.