Juncker, l'optimisation et la langue de bois

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Et vive l'humour bruxellois !

Après le gag Moscovici chargé de surveiller le déficit français, voici le feuilleton Juncker, nouveau président de la commission, chargé de lutter contre l'optimisation fiscale pratiquée par les multinationales au Luxembourg. Est-ce pour saluer sa prise de fonction ? Quarante médias étrangers (et, en France, Le Monde) publient une enquête commune sur les trésors d'ingéniosité déployés par le gouvernement luxembourgeois pour aider Apple, Amazon, Ikea et bien d'autres, à payer le moins d'impôts possible dans les pays où elles exercent leurs activités, en créant au Luxembourg toutes les filiales imaginables. Les documents proviennent de fuites d'un cabinet d'audit et de conseil, PricewaterhouseCoopers. Les travaux de ce "consortium d'investigation", qui ont démarré en 2012, ont donné lieu à d'autres révélations dans les deux dernières années.

Le feuilleton va bien occuper les correspondants à Bruxelles, pendant toute la durée du mandat de Juncker. Il a déjà commencé, avec une question posée hier au nouveau président de la Commission par le correspondant de France 2, François Beaudonnet (on peut entendre la question et la réponse sur le blog de l'excellent, et très junckerophile, Jean Quatremer, à partir de 22'). Sans faire référence précisément à l'enquête de ses quarante confrères (mais elle n'était pas encore sortie), Beaudonnet demande à Juncker si la commission, dans cette affaire, ne va pas être juge et partie. Réponse : "La Commission a parfaitement le droit de lancer des enquêtes de ce type. Elle fera son travail. Moi je m'abstiendrai d'intervenir dans ce dossier, puisqu'il relève de la commissaire chargée de la concurrence, qui doit avoir une grande liberté d'action et de propos. Je ne la freinerai pas, parce que je trouverais cela indécent. J'ai une idée sur le sujet, mais je la garderai pour moi." En langage Quatremer, ça donne, "il rompt avec la langue de bois". Que serait-ce s'il n'avait pas rompu ?

A ce stade, le lecteur naïf se demandera peut-être pourquoi les Etats européens victimes des pratiques luxembourgeoises ont précisément nommé Juncker à la Commission. On serait complotistes, on répondrait au lecteur naïf que si les Etats se sont mis d'accord sur le nom de Juncker, c'est justement pour cette raison : parce qu'ils le "tiennent", par la barbichette de l'optimisation fiscale, et qu'ils sont donc certains de pouvoir tranquillement continuer à mordouiller la ligne jaune des injonctions de "Bruxelles". Heureusement qu'on n'est pas complotistes.

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