Jolies images d'Ukraine, insupportables photos de Syrie
Alain Korkos - - 0 commentaires
Photo extraite de A Kiev, l’enfer par -10 degrés
par Vasily Maximov sur le blog Making-of de l'AFP
Pourquoi autant de photos sidérantes de la crise en Ukraine?, se demande la journaliste free-lance Fanny Arlandis dans un article publié par Slate le 28 janvier.
Copie d'écran de l'article paru sur Slate
Elle évoque la violence, les barricades, le climat d'insurrection…
Copie d'écran de l'article paru sur Slate
Copie d'écran de france tv info
… cite des propos de "Corentin Fohlen, jeune photographe de divergence-images, qui vient d’arriver sur place" (…)Ce n’est pas pour rien que de nombreux photographes se rendent en Ukraine depuis quelques jours : la fumée, la brume, le feu, la neige grise et la glace donnent une ambiance surréaliste et apocalyptique."
Copie d'écran de france tv info
Une ambiance à la Bilal, et l'on pense à sa Partie de chasse :
"Les manifestants de Kiev, coiffés de leurs casques de chantier, participent aussi à cette ambiance si spéciale. « Les manifestants ont aussi des gueules un peu noires, couvertes de suie ou de crasse car certains sont là depuis longtemps. Leurs casques font également penser aux manifs des mineurs des années 70 ou 80. Et tout ça, c’est très photogénique », explique Eric Baradat", rédacteur en chef du service photo de l’AFP à Paris.
De là à privilégier l'émotion au détriment du sens, il n'y a qu'un pas : "« Beaucoup de photographes sont présents et on peut choisir parmi un lot d’images très puissantes. Mais la couverture est un peu unidirectionnelle car la plupart des photographes ne s’y rendent que pour le côté spectaculaire », explique Mikko Takkunen, l’éditeur photo du Time."
"Et si la multiplication de ces photos masquait les images, moins impressionnantes, qui racontent ce qui se passe à côté, ce que l’on ne voit pas derrière cette violence spectaculaire ?", se demande Fanny Arlandis en conclusion de son article.
Des photos de reportage par trop esthétisantes qui privilégient l'émotion au détriment de la réflexion, donc. On a plusieurs fois traité ce sujet sur @si, voir notamment par là.
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Les photos de guerre ne sont pas forcément faites pour être vues par tout un chacun. Il en est ainsi de ces 55 000 photos de tortures perpétrées par les fidèles de Bachar el-Assad en Syrie, découvertes dans une cache avant que de passer clandestinement en Occident. Des photos qui ne jouent pas avec le soleil rasant éclairant des troupes protégées par des boucliers sur une place enneigée, qui ne capturent pas la trace orangée des cocktails Molotov striant la nuit. Il s'agit là d'images insoutenables, quasiment impossibles à regarder.
Le 27 janvier, le New York Times publiait à ce sujet un article intitulé Advertisements for Death rédigé par Susie Linfield qui oeuvra au Washington Post, au Village Voice, au Los Angeles Times Book Review, etc., et qui est l'auteure de The Cruel Radiance, Photography and Political Violence.
Dans son article, Susie Linfield évoque la récente publication de ces photos syriennes montrant "des corps amaigris, étranglés, battus (…), qui consignent la mort de 11 000 prisonniers". Ces photos "n'ont pas été prises par l'opposition mais sur ordre du régime d'Assad".
"Ce ne sont pas les premières images de sauvagerie de ce régime. Les forces d'Assad ont fait circuler beaucoup d'autres photos et des vidéos montrant des exécutions et des tortures qu'elles ont perpétrées. Pendant ce temps, les combattants anti-Assad diffusent fièrement leurs propres images de violence et de chaos (ils semblent avoir un faible pour les décapitations, parfois assorties de foules qui applaudissent)."
La guerre d'Espagne, continue Susie Linfield, fut la première guerre à être "photographiée de façon moderne, par Capa et d'autres". Aujourd'hui, à l'instar des nazis qui photographiaient leurs exactions à Auschwitz, les tortionnaires d'Assad immortalisent leurs crimes. "La photographie devient une rubrique dans la fabrication bureaucratique de la mort".
Et c'est ainsi que "le rôle traditionnel du photojournalisme de guerre est renversé : au lieu de dénoncer les atrocités, les photos en font désormais la publicité."
Les photographes documentaristes du début du XXe siècle, et notamment les photographes de guerre, croyaient que leurs images allaient changer le monde. "Leur rêve est devenu notre cauchemar", conclut Susie Linfield.
Cet article du New York Times est illustré par un photomontage signé Alvaro Dominguez, réalisé d'après les photos des victimes du régime d'Assad (voir par là).
L'occasion de lire ma chronique intitulée L'homme de Gaza revenue d'entre les morts.