Italie : enquête sur les négociations Etat-Mafia (Bakchich)

Dan Israel - - 0 commentaires

En Italie, la justice est persuadée qu'au début des années 1990, l'Etat italien a négocié avec la mafia pour faire cesser la vague d'attentats qui ont tué juges et responsables politiques. Le site Bakchich dévoile une note confidentielle du chef de la police de l'époque, faisant état de menaces de mort de Cosa Nostra contre le président du Conseil italien et deux ministres. Les négociations ont-elles avant tout visé à protéger ces hauts dirigeants, plus soucieux de leur sécurité que de l'intérêt général ? Le site d'info le pense.

Le 25 juillet, le parquet de Palerme a inculpé, aux côtés de chefs mafieux de premier plan, et de l'ex ministre de l'Intérieur Nicola Mancino, le député Calogero Mannino, et surtout le sénateur Marcello Dell'Utri, homme de confiance de Silvio Berlusconi. La nouvelle fait les gros titres en Italie (les deux grands quotidiens, le Corriere della Serra et la Repubblica, suivent attentivement le dossier). La justice estime que des représentants de l'État ont tenté, en 1992-93, de mettre fin aux attentats, en négociant directement avec Toto Riina, le chef de la mafia aujourd'hui emprisonné, un allégement du régime carcéral de parrains emprisonnés.

C'est le maire de Palerme de l'époque, Vito Ciancimino, lui-même mafieux, qui aurait joué les agents de négociation. Riina exigeait que cesse le régime carcéral d'exception qui visait ses troupes : pas de visites, de journaux ou de télé, et isolement total. Ce qui fut fait, de façon discrète, pour plus de 300 détenus.

La note de police publiée par Bakchich, datée de 1992, a été un déclencheur très efficace, assure le site. Dès qu'il sait qu'il est en danger, un des ministres concernés, fait tout pour accélérer les choses : "Dès que le ministre «pour les interventions extraordinaires» dans l'Italie méridionale, Calogero Mannino, sait que Cosa Nostra l’a transformé en cible, il cherche désespérément… à sauver sa vie!", écrit le site.

En 1993, les attentats cessent. Grâce à un homme, qui a mené les négociations : "Marcello Dell'Utri, l'inséparable de Silvio Berlusconi". Ils sont tous deux membres fondateurs d'un parti qui vient de naître, et va bientôt dominer la vie politique italienne : Forza Italia. "Dell'Utri est un homme efficace. L’État italien s'est abaissé à signer la paix avec Cosa Nostra", s'indigne Bakchich.


Le Nouvel Observateur est sceptique et évoque "la raison d'Etat"

Le Point est sur la même ligne que le site d'info, soulignant que la fin de "sale guerre" a coûté cher à Berlusconi : "Les magistrats palermitains estiment à 40 millions de fonds propres la somme versée à Cosa Nostra par le Cavaliere par l'intermédiaire de son principal collaborateur, Marcello Dell'Utri. Le prix de la "pax mafiosa". " Ce n'est pas la première fois que l'ex-président du Conseil a été accusé d'entretenir des liens réguliers avec la mafia. En 2010, le fils du maire mafieux de Palerme, avait assuré que Forza Italia était "né en 1994 d'une tractation entre l'État et la mafia" et que pendant des années, carabiniers et services secrets avaient garanti l'impunité du chef de la mafia Bernardo Provenzano, successeur de Riina. Il aurait été libre de circuler en Italie, justement parce qu'il aurait dénoncé son prédécesseur. Berlusconi avait bien sûr démenti avec force.

En revanche, Le Nouvel Observateur ne voit pas d'un très bon œil l'initiative des juges de Palerme, et encore moins le soutien que lui apportent les médias. "Pourquoi serait-il illégitime, blâmable et digne de poursuites pénales, que des représentants de l’Etat essaient d’éviter des attentats sanglants qui coûtent la vie à de valeureux magistrats et aux policiers qui les escortent, et qui déstabilisent profondément la conscience civique des Péninsulaires?", interroge la journaliste Marcelle Padovani. Elle minimise ensuite la portée de l'enquête des magistrats qui auraient construit "des châteaux en papier" et qui ne parviendraient "pas à donner un contenu pénal convaincant à leurs enquêtes et à leurs procédures". La journaliste prédit que les "procès qui récoltent un vaste écho médiatique" sont en fait "destinés à échouer dans les salles des tribunaux" faute de "preuves concrètes".

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