Israël retire une vidéo ridiculisant les correspondants étrangers

Justine Brabant - - 0 commentaires


Elle sera restée une semaine en ligne. Une vidéo qui tourne en ridicule le travail des journalistes étrangers dans la bande de Gaza a été retirée hier du site Internet du ministère israélien des Affaires étrangères. Le clip, jugé "trompeur" et "déplacé" par l'association de la presse étrangère en Israël, a été "mal compris", assure le porte-parole du ministère.

Le site du ministère israélien des Affaires étrangères, où la vidéo a été postée, le 14 juin 2015

La vidéo a une esthétique très South Park. C'est pourtant bien le ministère israélien des Affaires étrangères qui l'a produite et diffusée. En cinquante secondes, elle tourne en ridicule le travail des correspondants étrangers dans la bande de Gaza, les accusant de naïveté et de biais pro-Hamas. Le scenario : un reporter à l'accent américain se déplace dans Gaza, et y voit successivement un homme portant le bandeau vert du Hamas lancer une roquette, des combattants lourdement armés entrer dans un tunnel et prendre la direction d'Israël, et un militant des droits LGBT se faire arrêter et exécuter – toujours par un homme au bandeau vert. Mais face caméra, le reporter raconte qu'il "n'y a pas de terroristes (à Gaza), seulement des gens ordinaires", voit dans les tunnels le début de la construction d'un ambitieux réseau de métro par le Hamas, et loue "le pluralisme et le libéralisme" des Palestiniens de Gaza.

La vidéo s'est immédiatement attirée les critiques de l'Association de la presse étrangère en Israël (la FPA), qui dans un communiqué s'est dite "déconcertée" de voir "que le ministère passe son temps à produire une vidéo de 50 secondes dont le but est de ridiculiser des journalistes couvrant un conflit dans lequel 2 100 Palestiniens et 72 Israéliens ont été tués".

Mais les critiques sont aussi venues de journalistes israéliens. Le quotidien Haaretz énumère ainsi ce qui manque dans cette vidéo : "Les centaines de citoyens palestiniens morts, y compris des enfants qui, oui, "essayaient de vivre leurs vies paisiblement" (termes utilisés ironiquement dans le clip) avant d'être tués par les frappes israéliennes sur Gaza durant la guerre de l'été dernier", ainsi que "la dévastation totale" de ce territoire palestinien.

Haaretz n'entend pas défendre à tout prix les médias étrangers – qui "dénaturent souvent la réalité" et "ont tendance à adopter une approche orientaliste condescendante du conflit", estime le quotidien –, mais souligne l'effet contreproductif d'une vidéo avant tout destinée à flatter l'électorat de droite israélien : "L'objectif de cette vidéo n'était pas de convaincre la presse étrangère de ses erreurs. (...) Son but est interne : faire plaisir et amuser l'aile droite, qui a réagi positivement à la vidéo sur les réseaux sociaux, et qui est convaincue que le gouvernement "dit les choses comme elles sont"."

Jamais d'exemple précis

Une semaine plus tard, la vidéo est donc retirée du site du ministère. "Son but était d'illustrer les crimes du Hamas. Comme elle a été mal interprétée, nous avons décidé de la retirer", argue un porte-parole de l'institution. Mais la question des intentions des autorités israéliennes demeure : qu'ont-elles voulu dire à travers cette parodie, et plus généralement à travers les nombreuses vidéos caricaturant des journalistes occidentaux (comme celles diffusées en 2010 sur le site Masbirim) ? Ont-elles connaissance de cas avérés de déformation de l'information concernant Gaza ? Un porte-parole du ministère assurait la semaine dernière au New York Times que la vidéo était inspirée par la guerre de Gaza de 2014, durant laquelle des journalistes étrangers auraient vu des tirs de roquettes effectués depuis Gaza par des combattants du Hamas, mais auraient volontairement attendu la fin du conflit pour les diffuser. Mais "les autorités israéliennes ont régulièrement affirmé cela, sans jamais citer d'exemple précis", relève le New York Times.

Le quotidien américain cite l'un de ses photographes, Tyler Hicks, qui a couvert les deux premières semaines du conflit de 2014 à Gaza, et dont le témoignage vient contredire l'image du correspondant qui fait semblant de ne pas voir les combattants du Hamas en train d'opérer : "Les combattants du Hamas ne peuvent pas s'exposer. S'ils mettaient ne serait-ce qu'un pied dans la rue, ils seraient repérés par un drone israélien et immédiatement bombardés. Ils opèrent en dehors des bâtiments et maisons la nuit. On ne voit pas ces combattants. Si nous avions accès à eux, nous les aurions photographiés", explique le photographe, qui ajoute qu'il n'a "jamais vu un seul dispositif de lancement de roquettes vers Israël."

Et le quotidien américain de s'interroger de nouveau sur la communication du gouvernement israélien : "pourquoi, si les reportages grossièrement inexacts et mal informés de correspondants étrangers sur le conflit sont si fréquents, les officiels israéliens ne peuvent pas simplement désigner des exemples avérés" plutôt que "d'avoir de nouveau recours à la fiction pour illustrer cette réalité" ?

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