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Laurent Gosse
Concrètement, cette insurrection en Iran, c'est quoi ? Vraissemblablement, une tentative probablement vouée à l'échec de révolution colorée (le précédent gadin ayant été la "révolution pourpre" à l'occasion des législatives irakiennes) exprimant la scission entre les gagnants et les perdants iraniens de la mondialisation à travers 2 candidats à la présidentielle, l'un fils de forgeron, l'autre issu du sérail.
Pour ce qui touche à Twitter, maintenant, il faut savoir que de tous les réseaux sociaux, c'était celui qui décollait le moins en termes de connectés réguliers ... Il est utilisé entre autres par certains traders de volatilité qui aiment à véhiculer de l'information rapidement (eh oui, comme quoi ce n'est pas une communauté de gens sympas et désintéressés qui parlent de leurs soirées macramé). Hier soir déjà, sur un site très spéculatif de Wall Street, quelqu'un relevait déjà les exploits de "persiankiwi" sur Twitter.
Ma conclusion (provisoire): restons sérieux avec cette histoire ... La réalité est surement plus complexe qu'il n'y parait et certains (gros) intérets sont vraissemblablement en jeu (bien au-delà des aspirations des étudiants de telle ou telle fac). Et je ne parle pas de ceux qui voient systématiquement la main de la CIA derrière chacune de ces révolutions de couleur ... (ça ne signifie pas que je sois convaincu de cette thèse)
Sachons donc raison garder ... -
kawouede
Pas besoin de twitter pour apprendre des choses : Arte Reportage de samedi soir proposait un sujet sur les étudiants (garçons de bonne famille) de la fac de droit hyper select de Téhéran. On apprend des choses, pas toujours très rassurantes.
http://plus7.arte.tv/fr/detailPage/1697660,CmC=2693998,CmPage=1697660.html -
Thomas Philipakis
Bonjour,
Merci Sophie pour cette excellente approche du "dossier" que je me permettrais de sous-titrer "Twitter, journalisme & information". La distinction que vous maintenez entre les "forçats" et les autres professionnels de l'information prend tout son sens dans le microcosme twitter, où les nouvelles ne se propagent décidemment plus comme avant, où l'on quitte le monde de l'information conventionnelle.
Une information non conventionnelle d'une part, car la source de l'information n'est pas nécessairement fiable, n'importe qui peut tweeter et bien évidemment dire n'importe quoi. Par rapport à une démarche journalistique classique qui consiste à vérifier les sources et à s'en tenir aux faits pour construire un traitement de l'information qui, lui, pourra être éventuellement adapté ou éditorialisé, sur Twitter cette haute exigence de qualité première de la source n'est absolument pas garantie; le "forçat" doit donc baser son traitement sur sa propre faculté de jugement, sa capacité à recouper les sources convergentes, à reconnaitre les expertises et les influences des divers intervenants d'un sujet, à évaluer au mieux la fiabilité de ses sources... dans un microcosme où les sources sont extrêmement changeantes. C'est un travail titanesque dans lequel on a vite fait de se perdre.
Hier soir par exemple, je suivais les émeutes en Iran sur Twitter. On annonce l'intervention de l'armée, des chars dans les rues, le décollage d'hélicoptères militaires, et dans un élan fantasmatique la foule virtuelle s'est précipitée sur ses symboles et sur ses souvenirs pour "s'inventer" un mini drame historique en saynettes de 140 caractères. Des chars, des morts, des bains de sang. Et puis un tweet innocent, celui d'un jeune iranien qui suivait la scène depuis le toit de sa maison, qui montre du doigt le roi sans ses vêtements: "il n'y a pas de char dans les rues de Téhéran". Alors la foule, comme un seul homme... ne se calme pas, continue de fantasmer, on parle de dizaines de victimes après le raid de la milice dans l'université... jusqu'à ce que tout finisse par rentrer dans l'ordre, avec un léger temps de latence, à mesure que le tweet du jeune homme est relayé, répété, amplifié... devinez la suite.
S'il est un métier capable de faire sens de ces informations "brutes", de ces "faits", c'est bien celui de journaliste. Le journaliste sera celui qui pourra offrir son regard critique sur la situation telle qu'elle est relatée, en direct, par la multitude, avec toutes les dissonnance qu'on peut raisonnablement prêter à sa nature. Le journaliste est, seul, celui qui est capable de baser son évaluation des messages sur Twitter sur une investigation pointue de faits en dehors de Twitter, capable de reconstruire une mémoire digitale, de faire une histoire de petits bouts de phrases, de replacer dans son contexte une citation ô combien courte, en d'autres termes, pour reprendre un mot cher à la ligne j@une, de chercher en permanence à "savoir d'où on nous parle" dans ce nuage désorganisé d'informations.
Une information non conventionnelle d'autre part, car elle met toute l'information brute à disposition à la fois du journaliste et du public - et en même temps! J'imagine que c'est très ingrat comme position pour le journaliste. Lui qui a l'habitude de travailler son sujet, de peaufiner ses articles, de pondérer ses interventions, de faire valider voire de vendre sa contribution à sa direction éditoriale, ou bien tout simplement de respecter une éthique journalistique et une déontologie dont les tenants et les aboutissants sont à des lieues de ce que peut imaginer le spectateur lambda au moment où il assiste, désemparé, à la charge violente des brigades cycolomotorisées pour disperser la foule iranienne. Et on est en droit de s'indigner lorsque le journaliste de France24 nous annonce à l'instant(!) qu'aucune victime n'est confirmée et qu'il faut rester prudent alors que bon sang, la photo du pauvre homme gisant sur le bitume, la foule autour de lui priant pour son salut, il n'est pas besoin d'être ni officiel, ni journaliste, ni médecin pour avoir la certitude de son décès.
Ingrate, cette immédiateté. Mais la colère du lecteur contre le journaliste ne doit pas être prise comme telle, car devant ces images qui alternent le merveilleux et l'insoutenable, sous le coup d'une incrédulité rare, le public appelle à l'aide. A l'aide, le journaliste, à l'aide, l'officiel, à l'aide, le professionnel. Dis moi que tout ça n'est pas pour rien. Raconte moi le début du film, raconte m'en la fin, explique-moi ce que je vois. Permets-moi de comprendre ce qu'il se passe, complète le chaos de mes émotions par une pensée structurée. De grâce, fais moi profiter de ton travail! Ingrate, cette immédiateté, le journaliste ne peut même pas se reposer sur ses sources, si microscopiques, si "publiques" qu'elles sont elles-mêmes sans doute dans le même état d'esprit que celui qui implore la publication d'un article: désemparé.
Si je me permets ce petit essai sur le journalisme temps-réel, c'est parce qu'étant en relation privilégiée avec ses auteurs, je suis depuis ses débuts le moteur de recherche et d'aggrégation Twazzup qui a pour vocation première de donner du sens à ce magma d'information temps-réel au travers d'une simple recherche, ou d'une page d'accueil éditorialisée sur un thème prédéfini; comme par exemple les élections en iran ou une conférence comme le Privacy Camp DC 2009, sur le thème des libertés électroniques et du respect de la vie privée.
Je ne pense pas qu'il faille nécessairement avoir "peur" de cette évolution. Le journaliste est et sera toujours requis pour assurer une couverture d'un évènement, et le fait que le quidam puisse témoigner de lui-même sans passer par un tamis déontologique ne doit pas nécessairement être pris comme une menace pour la qualité de l'information. Je pense qu'au contraire nous devons apprendre à rester sereins face à cette nouvelle donne informationnelle, et nous munir d'outils adéquats pour la traiter comme il se doit et de faire, chacun, le tri. Qui sait, peut-être que Twazzup parviendra à faciliter la vie de quelques "forçats de l'info"! -
Peerline
"Where is my vote?" C'est vrai, c'est un beau slogan. Personne ne semble vouloir se demander pourquoi il est rédiger en anglais, signe qu'il est destiné à un usage international, et non local par des personnes du peuple, celui qui est présupposé défilé par millions en scandant "where is my vote", dans un élan d'anglophilie aigüe. -
Hurluberlu
Merci pour cet article...
Je regrette juste que Sophie Gindensperger n'apporte pas dans son texte une précision qui me semble pourtant intéressante: celle de la langue employée sur ce site si trendy qu'est Twitter concernant les informations sur l'Iran.
Car je suppose que les journalistes français qui se sont rués sur Twitter pour savoir ce qui s'y disait en Iran sur les événements du pays maîtrisent bien mieux l'anglais que le persan... Si cette supposition est avérée (ce qui est fort probable), cela voudrait aussi dire que les iraniens twitteurs qui sont suivis par les journalistes français, en plus de faire partie des classes aisées de la population iranienne, s'adressaient en fait non pas à leurs compatriotes iraniens, mais à leurs followers ( je crois c'est ainsi qu'on désigne ceux qui suivent un fil sur twitter) étrangers et anglophones...
Et c'est donc le serpent qui se mord la queue: les journalistes français n'accèdent sur twitter qu'à l'information qui leur est primordialement destinée, et non aux messages divers et variés que s'échangent entre eux les iraniens en farsi (messages qui, comme le concluent d'ailleurs tous les journalistes français, ne passent de toutes façons pas par Twitter).... Bref, il serait on aussi de rappeler que pour l'instant Twitter concerne essentiellement les anglophones (source), et que les informations de première main sur l'Iran ne nous viendront jamais en langue anglaise...
Heureusement qu'Internet n'a pas encore aboli les frontières linguistiques...