Incendie à Londres : le blog lanceur d'alerte, que personne n'a lu
Juliette Gramaglia - - 0 commentairesDouze morts et plus de soixante blessés. C'est le bilan provisoire du très impressionnant incendie qui a ravagé la tour Grenfell dans le sud-ouest de Londres, dans la nuit de mardi 13 juin à mercredi 14 juin. Un bilan qui aurait peut-être pu être moins lourd. C'est ce que laisse penser un blog de locataires de l'immeuble, qui se plaignait depuis des années de manquements aux règles de sécurité - dans l'indifférence générale.
Les images sont aussi spectaculaires que rares. Un incendie a ravagé dans la nuit de mardi à mercredi une tour de 24 étages dans le quartier de North Kensington, au sud-ouest de Londres. D'après les premiers bilans, l'incendie a fait douze morts et plus de 60 blessés. Au milieu des multiples directs médiatiques, le blog du Grenfell Action Group a fait une apparition remarquée ce mercredi matin : ce groupe de résidents dénonce en effet depuis plus de quatre ans des graves problèmes de sécurité dans l'immeuble, mais sans grande couverture médiatique.
La tour Grenfell en feu, photo du Grenfell Action Group
Le groupe a été fondé en 2010, pour protester contre la construction d'un centre sportif à Kensington (qui a finalement ouvert en 2015). Le blog du Grenfell Action Group se décrit comme une instance de défense "des droits des résidents de la cité de Lancaster West [où se trouve la tour Grenfell, ndlr], un complexe de logements sociaux tentaculaire dans le centre-ville, de presque mille ménages de classe ouvrière principalement, multi-culturels et multi-ethniques".
S'exprimant sur des sujets variés, qui concernent la vie quotidien des résidents, le blog s'inquiète également fortement des manquements aux règles de sécurité dans l'immeuble, et ce depuis plusieurs années, sans sembler pour autant avoir tenté de mener des actions médiatiques. En février 2013, le groupe a notamment publié un extrait du rapport de la visite d'analyse des risques liés au feu, menée en novembre de l'année précédente. On y lisait que de nombreux équipements, notamment les extincteurs, n'avaient plus été testés depuis plusieurs années, parfois trois ans. Mais aussi qu'il était impossible de savoir si les tests mensuels des équipements comme les lumières d'urgence étaient effectivement menés. Par ailleurs, il n'y avait qu'un seul escalier pour tout l'immeuble, rendant la fuite difficile en cas d'incendie, notamment.
Dans plusieurs articles, le Grenfell Action Group s'en prend au manque de réactivité de l'organisation de gestion des locataires de Kensington et Chelsea (KCTMO), qui gère la tour Grenfell, ainsi que d'autres immeubles, pour le compte du conseil du Bourough de Kensington et Chelsea (équivalent d'un arrondissement parisien) qui en est propriétaire. Il accuse la KCTMO de "nier" les problèmes qui lui sont rapportés, ou de mettre bien trop longtemps à les régler.
En 2013, des surtensions fréquentes - et peu de réactions
Exemple particulièrement marquant : en mai 2013 Grenfell Action Group ainsi que d'autres associations de locataires, ont dénoncé de sérieux problèmes dans le réseau électrique du bâtiment, qui provoquaient des surtensions. Sur le blog, le groupe avait alors reproduit plusieurs mails envoyés au conseil du district, ainsi qu'à la KCTMO. Suite à ces mails, mais aussi à des déplacements devant les bureaux de l'organisme de gestion de la cité, les locataires avaient fini par obtenir la visite d'électriciens d'urgence, qui n'avaient cependant pas réussi à empêcher d'autres surtensions qui, selon le blog, avaient mis en danger les locataires.
"De nouveaux problèmes à la Tour Grenfell",
Grenfell Action Group
Il s'avère que l'immeuble, construit en 1974, avait finalement été rénové par les pouvoirs publics, les travaux se terminant en mai 2016. Pendant les travaux de rénovation, en janvier 2016, le groupe avait toutefois relevé le fait qu'il n'existait qu'une seule sortie dans l'immeuble pendant la durée des travaux, ce qui s'avérerait très dangereux en cas d'incendie.
En novembre, soit six mois après la fin des travaux de rénovation, le groupe ne semblait pas convaincu par le résultat : il craignait en réalité que "seul un événement catastrophique exposera l'inaptitude et l'incompétence de notre propriétaire", une prophétie qui semble s'être désormais réalisée. En mars dernier, le groupe se réjouissait tout de même de voir qu'après leurs plaintes, la KCTMO avait enfin accroché des panneaux d'instructions à suivre en cas d'incendie.
Sursaut dans les médias
Malgré les plaintes répétées du Grenfell Action Group, il ne semble pas que les craintes du blog aient été relayées par les médias britanniques, que ce soit le Guardian, le Daily Mail, ou encore le Telegraph, par exemple. Pourtant, ce cas de négligence qu'il dénonce n'est a priori pas isolé. En 2009, un autre immeuble avait en partie brûlé à Londres, conduisant à la mort de six personnes. L'incendie avait été particulièrement marquant, le Guardian le qualifiant de "pire incendie de barre d'immeuble depuis toujours", et le conseil du district de Southwark, propriétaire de l'immeuble, avait plaidé coupable en février dernier, admettant que les régulations pour assurer la sécurité en cas d'incendie n'avaient pas été respectées.
Alors que la situation de la tour Grenfell était jusque là restée plutôt confidentielle, le drame de ce 14 juin a finalement propulsé sur le devant de la scène ce blog et les problèmes qu'il dénonce. De nombreux médias se sont fait le relais des accusations du Grenfell Action Group, le Daily Mailévoquant même des "failles de sécurité dignes du «tiers-monde»". D'après le Guardian qui, comme d'autres, a commencé à enquêter sur les manquements aux règles de sécurité, la KCTMO "a placé sa politique de sécurité contre le feu sous évaluation l'année dernière et ordonné de multiples changements" dans plusieurs de ses propriétés. La KCTMO se défend cependant auprès du quotidien d'avoir négligé les risques. Le Guardian ne lui a posé aucune question relative à l'existence, depuis quatre ans, d'un blog lanceur d'alerte.