Impôt, illettrés : alors, heureux, les sans dents ?

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - 0 commentaires

On n'en a pas fini avec le délicieux décomplexé Emmanuel Macron, ministre de l'Économie et des Gaffes. "Je ne m'en excuserai jamais assez"Après avoir, le matin, évoqué les salariées "pour beaucoup illettrées" de l'abattoir Gad, en Bretagne, et devant l'avalanche de réactions outrées, il est venu dans la journée se défoncer la coulpe à l'Assemblée. "Je ne m'en excuserai jamais assez" : mais de quel crime exactement ? Macron, à bien l'écouter, ne dit pas que son assertion était fausse. Il dit qu'elle était "maladroite". Autrement dit (traduction libre du matinaute) : "J'ai évidemment raison, mais puisqu'il faut s'excuser, dans ce pays, d'appeler les sans-dents par leur nom, alors voilà, prenez-les dans la figure, mes excuses". Combien de temps va-t-il tenir ?

La phrase de Macron ne sort pas de nulle part. Dans la journée, le site d'Europe 1, à l'origine en décembre dernier de l'estimation (non sourcée) de 20 % d'illettrés chez Gad, réitérait son estimation, "de source syndicale" cette fois. De source syndicale toujours non précisée : nos propres sources syndicales chez Gad n'ont jamais entendu parler de cette estimation. Au printemps, insistait Le Lab (site appartenant à Europe 1), le ministre Michel Sapin et la sénatrice PS du Finistère Maryvonne Blondin avaient d'ailleurs avancé au Sénat des affirmations comparables. Aucun tollé à l'époque. Il est vrai que c'était dans le confortable huis-clos de fait d'un débat sur la formation professionnelle au Sénat. Il est vrai que ce n'était pas Macron. Comme quoi le potentiel explosif d'une information dépend étroitement du lieu, et du locuteur. Ce qu'on savait déjà.

Michel Sapin, ministre du travail, chez Gad, le 23 novembre 2013. Les salariés l'avaient obligé à les rencontrer.

Propos faux ou propos maladroits ? Si c'est vrai, pourquoi ne pas le reconnaître surtout, comme Macron, dans une phrase censée venir à la rescousse des salariés sans permis de conduire, refusant des réaffectations trop éloignées de leur domicile ? Question qui se subdivise en deux : est-il décent, est-il utile de le dire ? Au 20 Heures, France 2 était à la sortie des abattoirs, donnant la parole à des ouvrières outrées. "Nous au moins, on paie nos impôts", disait l'une, en une amicale salutation à l'ex-ministre (et toujours député) Thomas Thévenoud.

Les impôts, donc. Au même moment où Macron trébuchait sur les ouvrières des abattoirs, Valls annonçait la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu. Subrepticement, à la fin de la matinale de France Inter. Ah oui les gars, j'allais oublier de vous dire, on supprime la première tranche de l'impôt. Alors, heureux, les sans-dents ? Comment la mesure, apparemment annoncée sans qu'il en ait prévenu aucun de ses ministres, sera-t-elle financée ? Par une hausse de l'impôt des plus riches ? Oui. Non. Peut-être. On va voir. On va étudier. Ce qui est certain, c'est "qu'il n'y aura pas de perdant". Apparemment, et sans trop vouloir s'avancer, on peut constater que ce pouvoir a comme un problème avec le peuple.

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