Immigration : et si on déverrouillait les têtes ?

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Vous ne connaissez pas Emmanuelle Auriol ? Vous allez la connaître.

Cette économiste de l'école de Toulouse (celle du Nobel Tirol) était citée dans un article du Monde d'hier. Et sa suggestion fait la Une de Libé de ce matin : "pourquoi il faut légaliser l'immigration""La réalité, dit Auriol, c'est que l'Europe et les Etats-Unis manquent de migrants". Première réaction : ouch ! ça décoiffe. Décoiffé, Libé a choisi d'en faire sa Une, très bien. A la lire de près, l'interview d'Auriol s'accompagne de propositions qui, elles aussi, feront discuter : vendre aux candidats migrants leurs visas d'immigration (partant du principe que l'argent sera mieux dans la poche des Etats que dans celle des passeurs), détruire au port les bateaux de ces derniers, et combattre l'emploi de clandestins dans les pays d'accueil. Discutable ? OK. Certainement. Discutons. Comme disait le regretté Gébé : on arrête tout, et on réfléchit.

Discutons. Débattons. Poussons les hypothèses. Entrons dans les détails. Comme on aimerait que la presse s'y engouffre, plutôt que de se limiter à des trémolos sans lendemain, à chaque naufrage en Méditerrannée. Ouvrir les frontières, très bien, mais à qui ? Avec quelles conditions de langue ? De qualification ? De situation familiale ? Et par exemple, ces nouveaux migrants officiels, comment va-t-on les loger ? Construisons des scénarios. Explorons.  L'Allemagne va manquer de main d'oeuvre : il manquera sept millions de salariés dans quelques années, dit Auriol (chiffre que reprenait par exemple BHL ce matin sur France Inter). Sept millions ? On ne sait pas d'où vient le chiffre, mais il est certain que la démographie allemande décline. François Hollande, chiche, vous invitez Emmanuelle Auriol au sommet extraordinaire de l'UE, demain ? Vous la présentez à Angela ?

Comme en économie, dans la réflexion sur les migrations, la première mission de la presse devrait être de refuser le TINA (There Is No Alternative), preuve étant faite que le système existant ne fonctionne pas. En matière d'immigration, le TINA européen se résume à une question : "comment se barricader le mieux possible". Et tout le monde, presse comprise, s'est enfermé dans le TINA. Le verrouillage le plus hermétique, ce n'est pas celui des frontières, qui resteront de toutes manières des passoires, c'est celui des têtes. Déverrouillons les têtes, le reste suivra.

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