Immeuble Libé : questions sur son propriétaire (Mediapart)

Sébastien Rochat - - 0 commentaires

Le siège de Libération ? Un immeuble détenu par plusieurs sociétés écrans dont certaines sont basées dans des paradis fiscaux et qui pourrait être vendu par une holding qui perd de l'argent. C'est ce qui ressort d'une enquête -complexe- de Mediapart sur les véritables propriétaires de l'immeuble abritant le quotidien et sa rédaction. Avec une question lancinante : le projet de Libéland est-il destiné à masquer une pure opération immobilière ?



On croirait un catalogue de voyage à destination des évadés fiscaux. Avec ses destinations plus ou moins exotiques : Luxembourg, Panama, Iles Vierges. Et ses noms d'entreprise à dormir debout : Mainford international, CFOLB Venture One, Lupa Patrimoine ou encore Amundi Re Novation Lupa. Difficile de s'y retrouver dans tous les fils que Mediapart a tenté de démêler, non sans mal, pour comprendre qui détient vraiment l'immeuble de Libération situé au 11, rue Béranger, dans le IIIe arrondissement de Paris.

Selon Mediapart, le siège de Libé est détenu par "une cascade de sociétés", dont Bruno Ledoux, l'un des principaux actionnaires du journal, est "le détenteur minoritaire". Prenez des notes : le siège de Libé est détenu à 100% par Lupa Patrimoine, elle-même filiale de Amundi Re Novation Lupa. Cette dernière société s'appelle une sppicav (sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable). En clair, Amundi Re Novation Lupa détient de nombreux immeubles, dont celui de Libé, pour un montant avoisinant les 96,5 millions d’actifs immobiliers.

Mediapart tente de démêler les filspicto

Plongeant dans les méandres de montages fiscaux opaques, Mediapart assure que les actionnaires de cette sppicav sont logés dans de nombreux paradis fiscaux : Luxembourg, Panama, Îles Vierges britanniques. Des montages complexes. Et légaux ? Difficile à dire. L'administration fiscale a réclamé plus de de 40 millions d'euros aux sociétés de Ledoux car le fisc "reproche aux propriétaires d’avoir fait valser les étiquettes de façon un peu trop artificielle sur leurs immeubles, afin d’éluder l’impôt", précise Mediapart. Si le tribunal administratif a donné raison à Ledoux en 2012, le fisc a fait appel. La procédure est en cours. En attendant, l'immeuble a été placé sous hypothèque. Dans un entretien à l'AFP, Ledoux, qui semble avoir voulu prendre de vitesse Mediapart en s'exprimant quelques heures avant la mise en ligne de l'article pour lequel il avait été contacté, se montre confiant sur l'issue de la procédure : "Nous sortons d'un important contentieux fiscal (...) à hauteur de 44 millions, que nous avons gagné en 1ère instance. Cette décision devrait être définitivement validée en appel, le rapporteur public ayant rendu des conclusions favorables. Il n'y a donc plus de sujet".

Vers une vente du siège de Libé pour renflouer les caisses d'une holding ?



Quant à l'avenir du siège de Libé, il est incertain, en raison de la gestion des sociétés Ledoux. Reprenez des notes : la société Lupa Patrimoine qui détient plusieurs immeubles, dont celui de Libé, est structurellement fragile. En 2012, bien que la société ait encaissé plus de 9 millions d'euros de loyer, elle a évité de clôturer son exercice en déficit grâce à la vente de l'un de ses immeubles. Les années précédentes, Lupa Patrimoine affichait des comptes dans le rouge (- 6,4 millions d’euros en 2011, - 3,8 millions en 2010, - 9,9 millions en 2009).

Mêmes réjouissances pour la holding située juste au-dessus, Amundi Re Novation Lupa (qui détient Lupa Patrimoine, faut suivre). Cette holding ne gagne pas d'argent. "Dans ses comptes, seules apparaissent des charges, notamment les commissions prélevées par son gestionnaire. Mais on ne constate aucune source de revenus. En 2012, la société a donc perdu presque 852 000 euros. Les trois années précédentes, les pertes s’étalaient entre 729 000 et 810 000 euros annuels", écrit Mediapart.

Et alors ? Pour renflouer les caisses, la holding Amundi Re Novation Lupa et sa petite soeur Lupa Patrimoine pourraient décider, comme elles l'ont déjà fait, de revendre des immeubles. Cette perspective a été évoquée en février 2013 lors d'une réunion avec des conseils de la Holding. Traduction de Mediapart : "L’information a de quoi faire l’effet d’une bombe à Libé. Au moment même où son actionnaire principal souhaite le départ de la rédaction de son siège, son propriétaire évoque noir sur blanc la possibilité d’une vente !" Une information que dément Bruno Ledoux, contacté par le site : "Le projet que je défends implique que l’immeuble reste un immeuble Libération. J’ai eu une discussion à ce sujet avec mes partenaires. Il faut trouver une solution qui respecte les intérêts de [la holding], tout en maintenant l’immeuble dans l’univers de Libération".

En attendant d'y voir plus clair, après la démission de Demorand, Ledoux déclare que "pour régler la situation à court terme dans les prochains mois, le gouvernement [lui] a assuré qu’il allait consentir à un prêt". Selon les salariés de Libération, l'Etat pourrait mettre 2 millions d'euros sur la table et les actionnaires la même somme.

Si vous avez raté les précédents épisodes, plongez dans notre dossier : "Libé, épicentre de la crise de la presse".

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