Houellebecq, pour attaquer le sac de noeuds
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesDans ces cas-là, d'abord décentrer le regard.
Attaquer le sac de noeuds par sa face la plus accessible : ses personnages secondaires. S'abstenir de regarder et d'écouter Houellebecq lui-même, pour porter l'attention sur les réactions chimiques qu'il provoque à Medialand : les fureurs en pour (Finkielkraut) et en contre (Plenel), les bagarres de cour de récré des chroniqueurs littéraires pour savoir qui aura l'exclusivité télé, radio, presse étrangère, presse régionale ou multimedia, et les braves intervieweurs politiques, élevés sous la mère Sarkozy ou Hollande, découvrant avec effroi les subtilités de la distinction auteur-narrateur-personnages. Quel dommage que Pujadas-Cohen n'aient pas animé leurs émissions à l'époque de la parution de 1984. Comme on aurait aimé les entendre demander à Orwell : "mais alors, le ministère de la Vérité. Vous trouvez que ce serait cool ou pas ?"
De Pujadas en Cohen, il faut les voir s'évertuant à attaquer l'auteur au marteau-piqueur pour lui faire avouer ses convictions, ses parti-pris, ses détestations, son point de vue. Son point de vue ? Quel plaisir, de l'entendre ballader Cohen à grands coups de silences envolutés. Mon point de vue ? Sur quoi ? Sur l'Islam ? Ah oui, j'ai changé. Je ne pense plus que c'est la religion la plus con. J'ai lu le Coran, et finalement je pense qu'on peut négocier. Sur l'Europe, je suis contre. Sur les hommes politiques, y a un truc qui va pas. Faut changer un truc, même si je sais pas quoi. Sinon, pas de point de vue. D'ailleurs il vaut mieux plutôt pas en avoir pour faire ce genre de livre. Question suivante ?
Ce genre de livre ? Un Houellebecq, avec ce qu'il faut de fellations, d'envolées sociologiques, de savants glissements d'un degré à l'autre et de plats au micro-ondes, mais plutôt plus bâclé que les précédents, et surtout d'une perversité indémêlable, camouflant son islamophobie forcenée sous des pelletées d'éloges douceâtres et d'appels à la soumission. Autant dire un objet qui touche évidemment un nerf, voire plusieurs, mais de manière rigoureusement indéchiffrable dans le format d'une interview de dix minutes, comme d'ailleurs d'une chronique de matinaute, et qu'on s'abstiendra donc soigneusement d'attaquer ici.