Hôtel-Dieu en partie cédé au privé : la mairie de Paris ne se vante pas

Tony Le Pennec - - 25 commentaires

Un tiers de l'Hôtel-Dieu, le plus vieil hôpital parisien, vient d'être cédé pour 80 ans au promoteur immobilier Novaxia. Une décision prise de concert entre Assistance publique-Hôpitaux de Paris et la mairie. Une décision sur laquelle cette dernière s'est gardée de communiquer, en plein débat sur la privatisation des Aéroports de Paris.

Vous rêvez de déguster le must de la cuisine française en observant l'avancement des travaux de Notre-Dame de Paris?  Bientôt, cela sera à portée de main, ou plutôt de portefeuille bien rempli. Martin Hirsch, directeur général d'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a annoncé vendredi 17 mai qu'un tiers de l'Hôtel-Dieu, hôpital parisien donnant sur le parvis de Notre-Dame, allait être cédé pour un bail de 80 ans au promoteur immobilier Novaxia. Qui compte y installer trois pôles thématiques, indique Le Monde : un pôle santé, avec un incubateur de biotechnologie et d'intelligence artificielle, une salle de "coworking sur l'intelligence artificielle" et une salle polyvalente pour faire se rencontrer médecins et monde de l'entreprise ; un pôle habitat et services, avec une résidence sociale étudiante, une maison du handicap et une crèche associative ; un pôle commercial, avec restaurant gastronomique, "food court solidaire" et boutiques ("La priorité ira au made in France, à l’artisanat, aux circuits courts", précise Joachim Azan, président de Novaxia).

Novaxia a remporté le concours lancé par AP-HP et la mairie de Paris pour la cession d'un bail de 80 ans de 20 000 mètres carrés du plus vieil hôpital de Paris. Pour la modique somme de 144 millions d'euros, le promoteur aura ainsi l'usufruit de la partie de l'Hôtel-Dieu donnant directement sur le parvis de Notre-Dame. Les deux tiers restant (la partie hôpital) devront auparavant être réorganisés. D'après Le Monde, le projet sera "tourné vers les publics précaires et le traitement des maladies chroniques, avec un service d’accueil des urgences, un plateau de consultation pluridisciplinaire, un pôle de psychiatrie et un autre de santé publique"

"LES ÉLUS SONT CENSÉS ÉCOUTER LES CITOYENS"

La communication autour du projet, tant pour la partie cédée à Novaxia que pour celle qui doit rester un hôpital, semble calibrée pour satisfaire communistes et écologistes, membres de la majorité municipale et en charge respectivement du logement et de la santé. Pour les écologistes, des boutiques qui privilégient le "circuit court", et pour les communistes, du logement social étudiant et un hôpital "tourné vers les publics précaires". Pour Danielle Simonnet, élue insoumise du 20e arrondissement parisien vent debout contre le projet, cela relève avant tout du "social washing" : "Sous prétexte qu'on crée du logement social étudiant et une crèche, il faudrait accepter de livrer une partie de l'Hôtel-Dieu aux commerces ?", s'énerve-t-elle auprès d'Arrêt sur images. L'insoumise tacle aussi l'inconstance du PCF et d'EELV sur ce dossier : "Jusqu'en 2014, ils étaient dans le comité de soutien de l'Hotel-Dieu, dont les urgences étaient en danger. Mais en 2016, quand j'ai émis un vœu au Conseil de Paris contre la cession d'un tiers de l'Hotel-Dieu pour faire entre autres des commerces, ils ne m'ont pas soutenue."

Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l'Hôtel-Dieu, n'est pas davantage satisfait par la nouvelle. Joint par ASI, il assure que la cession d'une partie de l'Hôtel-Dieu au privé était dans les tuyaux depuis longtemps. "Cela fait 20 ans qu'on vide à dessein l'hôpital de ses services. En 2000, la maternité a fermé, puis les services sont partis un par un, pour qu'à la fin on puisse nous dire « voyez, l'hôpital est obsolète»." Le service des urgences, où travaille le docteur Kierzek, avait d'ailleurs été sauvé in extremis en 2013 d'un projet de fermeture qui avait coûté son poste à Mireille Faugère, prédécesseur de Martin Hirsch à la tête de l'AP-HP. Kierzek en veut aux élus parisiens ayant validé le projet, en particulier aux quatre membres du jury qui a désigné Novaxia pour gérer les 20 000 m² d'Hôtel-Dieu (Jean-Louis Missika, Karen Taïeb, Ariel Weil et Anne Souyris) : "Les élus sont censés écouter les citoyens. Au lieu de cela ils font l'inverse de ce que les citoyens veulent. Ce qu'ils nous proposent, c'est exactement ce qu'on a fait avec les autoroutes, ce qu'on fait avec les aéroports, et que tout le monde conteste aujourd'hui." 

Et l'urgentiste d'insister : "L'Hôtel-Dieu a une position stratégique au cœur de Paris, on aurait pu y faire un vrai beau projet médical. Là ce qu'on nous propose c'est un hôpital Potemkine et une galerie marchande." Et ce alors que les urgences des hôpitaux de la capitale sont en grève depuis mi-mars pour réclamer de meilleures conditions de travail. Enfin, Kierzek s'étonne, tout comme Danielle Simonnet, du prix de la cession du bail. "144 millions pour 80 ans, ça fait une location à 7 euros 50 par mois le mètre carré, c'est ridicule!"

"Ancrer durablement la santé au CŒUR de la cité"

La victoire de Novaxia a immédiatement et logiquement été saluée par le promoteur immobilier, qui axe sa communication sur un "projet à fort rayonnement médical et scientifique [qui] permettra d’ancrer durablement la santé au cœur de la Cité", et insiste sur la"triple dimension sociale, économique et de santé"du projet.

Mais côté politique, les partisans de la cession du bail ne se sont pas bousculés pour saluer les résultats du vote du jury. La Ville de Paris, qui participait au jury, ne fait la publicité de la nouvelle ni sur son site, ni sur les réseaux sociaux. Pas plus qu'Anne Hidalgo, la maire de Paris. Dans Le Monde,  l’adjoint de la maire de Paris chargé de l’urbanisme, Jean-Louis Missika, exprime toutefois sa satisfaction : "C’est un projet qui respecte le patrimoine, crée une synergie avec l’hôpital, ouvre le site sur la ville et va diversifier le public de ce quartier très touristique et redynamiser l’île de la Cité." 

Un nouveau sujet de mécontentement pour les Gilets jaunes?

Martin Hirsch, qui présidait le jury, fait aussi part au journal de son contentement : "Ce sera notre premier hôpital du XXIe siècle : ouvert sur la ville, faisant se rencontrer soins et entrepreneuriat, mélangeant les activités. Je suis très heureux d’avoir résisté à tous ceux qui voulaient purement et simplement vendre l’Hôtel-Dieu comme à ceux qui voulaient le refaire à l’identique, alors qu’il ne correspond plus à l’offre de soins nécessaire à Paris." L'hôpital du XXIe siècle, c'est donc avant tout un hôpital plus petit. Et ouvert au privé. Contactés par Arrêt sur images, ni Ian Brossat, adjoint communiste au logement à la mairie de Paris, ni Anne Souyris, adjointe écologiste à la santé et aux relations avec l'AP-HP (et membre du jury), n'ont donné suite aux demandes d'entretiens.  

Lire sur arretsurimages.net.