Homeland "justifie la guerre à la terreur" (New Yorker)
Robin Andraca - - Fictions - 0 commentairesAlors que vient de se terminer aux Etats-Unis la diffusion de la cinquième saison de Homeland, qui met en scène l'Etat islamique, le New Yorker estime que rien, en réalité, n'a changé depuis ses débuts : cinq ans plus tard, la série essentialiserait encore et toujours les musulmans et justifierait la guerre à la terreur menée par les Etats-Unis depuis 2001.
The New Yorker, 20/12/2015
Dimanche 20 décembre était diffusée sur la chaîne câblée américaine Showtime le douzième et dernier épisode de la saison 5 de Homeland. Après une saison au Pakistan, Homeland et son héroïne bipolaire Carrie Mathison sont aujourd'hui en Europe, où l'Etat islamique menace d'une attaque chimique de grande ampleur. De 2011 à 2015, de Washington à Berlin, de Al Qaeda à l'Etat Islamique, Homeland a, en apparence, bien changé, comme nous le constations sur notre plateau la semaine dernière.
Pourtant, selon le New Yorker, le message reste le même. "Qui sont les méchants ? Qui nous menace ? La réponse est toujours la même", écrit la journaliste Ali Rozina. "Homeland suggère une sorte de fatalisme sous-jacent dans la guerre contre le terrorisme : les musulmans seront toujours une menace pour l'Amérique parce que l'islam, elle-même, est une menace."
Déjà taxée de racisme, ou de glorifier la torture, Homeland est aujourd'hui accusée par le New Yorker de justifier la guerre à la terreur, nom donnée par Georges W. Bush aux campagnes militaires américaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001. "On estime à 2 000 le nombre de civils tués dans des raids aériens en Afghanistan et au Pakistan. Ceux en Syrie, destinés à affaiblir l'EI, ont fait deux cent cinquante victimes civiles. Et pourtant, dix ans de morts de civils n'ont pas provoqué de tollé monstre aux Etats-Unis ; au contraire, cette stratégie a répandu, au sein de la population américaine, auto-suffisance et racisme (...) Aucune autre série n'a fait plus qu'Homeland pour encadrer la guerre contre le terrorisme et faire des musulmans la menace principale."
La journaliste s'appuie notamment sur une scène de la saison 5 de la série dans laquelle Quinn, agent de la CIA, de retour de deux ans de mission en Syrie, raconte à ses patrons ce qu'il y a vu : "Ils se rassemblent en ce moment même à Raqqa, par dizaines de milliers. Cachés parmi les civils, nettoyant leurs armes, ils savent exactement pourquoi ils sont là. Ils appellent ça la fin des temps. Pourquoi pensez-vous qu'il y a des décapitations. Les crucifixions à Der Hafer ? La renaissance de l'esclavage, vous croyez qu'ils inventent tout ça ? Tout ça est dans le bouquin, leur putain de bouquin, le seul bouquin qu'ils aient jamais lu. Ils ne s'arrêtent jamais. Ils sont là pour une seule et unique raison : mourir pour le califat et créer un monde sans infidèles (...) Vous pensez vraiment que quelques équipes des forces spéciales vont ébranler cela ?".
Un discours problématique selon Rozina : "En réalité, les chercheurs ont découvert que la plupart des membres de l'Etat islamique ne lisent pas le Coran. Et pourtant, la stratégie de Quinn est de « broyer Daech ». Son cynisme plonge la salle dans le silence ; personne n'a une autre idée."
"Homeland signifie le prolongement du sentiment de terreur"
Homeland encourage-t-elle la guerre à la terreur ? Sur notre plateau, la semaine dernière, Pauline Blistène, doctorante en philosophie qui travaille actuellement sur la série de Showtime, revenait sur la question, estimant pour sa part que Homeland, "en tout cas pour sa première saison, signifie la sortie de la guerre à la terreur et en même temps le prolongement du sentiment de terreur qui a saisi les Américains le 11 septembre 2001 et qui saisit toujours la population américaine, qui a du mal à accepter cette rupture narcissique."
L'occasion de revoir l'intégralité de notre émission "Homeland, une catharsis par anticipation" et de relire la chronique de notre matinaute : "Homeland, fiction de compagnie"