Hollandisme révolutionnaire : le virage du salon rouge
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesIls sont bizarres, nos lecteurs. Sympathiques, oui, c'est sûr, des lecteurs d'élite, mais vaguement masos sur les bords, tout de même.
En guise de cadeau d'anniversaire sans doute, un internaute m'envoie ce lien. Surtout, ne cliquez pas ! Vous y entendriez notre prophète préféré, Emmanuel Todd, en mars 2012, prédire, après quelques années, l'avènement d'une sorte de hollandisme révolutionnaire, dans les deux ans après l'élection. Pas malveillant, ce lecteur. Juste un peu maso. Ah, on a tous bonne mine, avec notre prophète Todd !
Mais avait-il vraiment tort, notre prophète préféré ? Prenez le titre anniversaire du Monde : "La stratégie de Hollande pour rebondir". Tout n'est pas perdu. Il a donc, "une stratégie". A l'intérieur, le journal semble déjà moins affirmatif. Le titre devient : "comment Hollande tente de rebondir". En quelques pages, on sent que l'affaire se dégonfle. Comme si les titreurs, qui font les fiers à la Une pour appâter le lecteur, ne tentaient même plus de donner le change.
L'article contient tout de même deux informations capitales : d'abord le fameux bureau de l'ex-conseiller Aquilino Morelle ne sera pas réaffecté. Il deviendra une sorte de salle de réunion. Et surtout, ceci : le conseil des ministres, révèle mon confrère David Revault d'Allones, ne se réunit plus "sous les ors du salon Murat, mais dans le salon rouge". Ah. On relit. Oui. C'est bien la révélation-clé du papier. Le coeur de "la stratégie de Hollande pour rebondir". Sans doute effrayé par la portée de son scoop, Le Monde ne détaille pas. Le salon rouge est-il ostensiblement dépourvu de dorures ? Et d'abord ce nom, le salon rouge : des esprits néo-marxistes, pikettistes, voire mélenchonniens, le hantent-ils ? Et mon confrère ajoute cette précision capitale : "une première sous la Ve république". On imagine déjà les chancelleries internationales aux cents coups, les cellules de crise au Kremlin, à Berlin, à la Maison Blanche : "Helmut, Igor, John, on veut tout savoir tout de suite. Que se passe-t-il en France ? Le gouvernement français se réunit dans le salon rouge ?" Et la finance internationale sans visage. Méconnaissable, la finance internationale. Atteinte au coeur. Aux dernières nouvelles elle erre, hagarde, échevelée, d'une cave du Luxembourg à un bunker des Caïmans. Le salon rouge ! Même Mitterrand n'avait pas osé, avec ses ministres communistes ! (Il est vrai que ce salon n'apparait pas dans la description des pièces de l'Elysée, ce qui renforce le mystère).
Ce que Le Monde n'a pas osé dire, effaré par l'ampleur de sa propre découverte, je vous le dis, moi : ces conseils des ministres dans le salon rouge, c'est le tournant, la trouvaille, le vrai virage à gauche, clandestin (ne pas effaroucher Merkel), mais réel. C'est la lettre volée de Poe, l'évidence inaperçue. Todd avait raison, avant tout le monde. On va voir ce qu'on va voir.