Hollande et les deux Shakespeare

C'était bien une citation de Shakespeare. Mais pas du bon.

Depuis le discours de François Hollande au Bourget dimanche, les journalistes étaient en quête de l'origine d'une phrase prononcée par le candidat socialiste, qu'il avait attribuée à "Shakespeare": "Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve." Or, le lendemain, Jean-Michel Déprats, l'un des meilleurs spécialistes français du dramaturge anglais, déclarait dans Libération ne reconnaître "aucun passage connu" de son auteur fétiche. Le quotidien voyait là la preuve de "la fiabilité très relative des références sur Internet" et le "fantastique effet pavlovien généré par la Toile", cette citation étant présente sur de très nombreux sites. Et manifestement appréciée au PS : comme l'a signalé LeLab, Jean-Marie Colombani relevait, sur Slate.fr, cette phrase dans un discours d'Arnaud Montebourg dès 2010, et Rue89 la mentionnait comme le sous-titre de la motion du courant Utopia au congrès socialiste de Reims en 2008.

Mais impossible de mettre la main sur l'origine de cette belle citation. Et pour cause. Un article amusé du correspondant français du Daily Telegraph donne aujourd'hui la clé de l'histoire : "Nous pouvons révéler que son vrai auteur est vivant et en bonne santé. Il s'agit du critique littéraire en chef du Telegraph. Nicholas Shakespeare, journaliste, romancier, biographe et descendant direct du grand-père de William, a déclaré : «Je n'en suis pas revenu quand j'ai vu que le candidat à la présidentielle m'avait cité.»" Libé avait bien songé à cette piste, mais l'avait aussitôt écartée dans son article.

La citation vient d'un roman publié en 1989 (et publié en France deux ans plus tard), La vision d'Elena Silves(Albin Michel). Ironiquement pour un discours où Hollande essayait de convaincre de son engagement à gauche, elle avait été placée par Shakespeare dans la bouche de Gabriel, un révolutionnaire maoïste "qui finit terroriste au service du groupuscule meurtrier péruvien Le Sentier lumineux", souligne le Telegraph. On attend les commentaires ironico-indignés de l'UMP.