Hollande à Cuba, de quoi rire ?
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesAu moins il rit. Au moins ça.
Il y a eu la fatigue du voyage, les confetti de l'Empire avalés un par un, en chapelet, aéroport, gerbe, aéroport, gerbe, les préfets tout en blanc, les Martiniquaises endimanchées, il y a eu la gaffe de la dette d'Haïti, trop fort, la gaffe de la dette d'Haïti, quels naïfs tout de même ces Caraïbes, et dire qu'ils y ont cru, même cinq minutes, il y a eu cette brassée de promesses qu'on sait qu'on ne tiendra pas, un cyclotron ici, un cyclotron là, il y a eu ce tourbillon dans lequel le temps fera le tri, et puis voici le point d'orgue, l'image que le Temps gardera, la poignée de main au Dictator Adidas Maximo, au monolithe, au Companero Survivante.
De quoi rit-il ? A qui vient-il de jouer un bon tour, puisqu'il ne regarde pas le photographe ? Au fantôme de Mitterrand, qui lui n'est jamais venu ? Aux journalistes qui pronostiquaient que la rencontre n'aurait pas lieu ? Les communicants de l'Elysée ont trouvé l'explication géniale, que répercutent pieusement les radios du matin : cette poignée de main, c'est pour se mettre l'Amérique du Sud dans la poche, en préparation du sommet de décembre sur le climat. Un petit geste pour la planète : bien trouvé, mais cela ne suffit pas à expliquer l'hilarité. Il faut bien qu'il rie de quelqu'un, il faut bien que ce rire soit cruel, que ce soit un un rire politique, à usage intérieur, seule la politique intérieure, celle qu'il connait si bien, peut expliquer un rire si franc.
Au rire de Hollande, répond en un écho sinistre le rictus du moribond, sur qui se pose le regard, dans un second temps. Si aimer, c'est regarder ensemble dans la même direction, alors quel grand amour que celui de ces deux-là, qui regardent ensemble vers un coin de la pièce, dont on ne saura rien. Sur le rictus de Castro, pas de question : comme tous les vieillards il rit à la Mort, depuis le temps qu'elle fait antichambre, avec sa faux sur les genoux en salle d'attente, tiens avale ça, ce petit Français, un de plus, et ce n'est pas le dernier. OK.
Mais Hollande ? A qui vient-il de faire la niche du Siècle ? A la droite d'abord évidemment, à tous ceux qui font semblant de ne voir en Fidel que le dictateur et pas la Mythologie mondiale. Mais aussi (surtout ?) à l'autre bord, à tous ceux qui vilipendent en lui le social démocrate mollasson, le caniche de Merkel et de Juncker, le catholique zombie immobiliste, le petit bourgeois bedonnant, celui à qui on a toujours balancé à la figure l'icône de Guevara. A Mélenchon, en un mot, à qui il pique l'icône survivante, et espère piquer au passage, aussi, quelques poignées d'électeurs. Bien joué. Il y a bien de quoi rire.