Guetta, l'homme qui ferait presque aimer Poutine

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Poutine a donc gagné la présidentielle russe, et très largement, et au premier tour.

Reste donc à expliquer cette victoire du démagogue autoritaire, de l'ex et futur président, du persécuteur de l'oligarque-martyr Khodorkovski, du "bad cop" (partenaire du "good cop" Medvedev). Spécialiste de la Russie depuis trois décennies, chroniqueur matinal à France Inter, Bernard Guetta a une explication: il y a deux Russie. La Russie des villes, hostile à Poutine, et la Russie profonde, qui lui est favorable. Jusque là, l'explication tient. Mais dans la foulée, Guetta dérape, expliquant que la Russie des villes, celle qui commence à manifester à Moscou, celle des nouvelles classes moyennes, celle qui est éduquée, celle de l'argent, est "la Russie qui compte", "la Russie utile".

Notez que Bernard Guetta ne va pas jusqu'à parler de la "Russie inutile" pour désigner celle des champs et des usines. Non. L'autre, c'est la "Russie profonde". Mais si "la Russie profonde" s'oppose à la "Russie utile, à la Russie qui compte", l'auditeur, même doté d'un sens de la déduction moyen, peut en conclure seul qu'elle est inutile, et ne compte pas. D'ailleurs, si elle vote Poutine, ce n'est pas par adhésion, expliquait-il vendredi : c'est "parce qu'ils ne peuvent pas s'identifier à cette Russie des villes qui vit si loin de leur misère". Non seulement l'inutile est inutile, mais il est bêtement renfrogné, voire obstinément boudeur.

Malheureusement, la Russie boudeuse est donc majoritaire. Et même encore très majoritaire. Notez qu'il y a sans doute eu de la fraude, certainement, le matinaute n'y était pas. Peut-être même beaucoup de fraude, puisque France Inter, qui s'est délocalisée en Russie, insiste sur la fraude. Mais voilà: en deux mots, Russie qui compte, Russie utile, Guetta décrédibilise tout le travail de France Inter sur la Russie. En deux mots, le chroniqueur nous rappelle qu'il plaque (et derrière lui, déduisons-nous, la rédaction de France Inter, et une bonne partie des médias français) sur la Russie sa grille de lecture de la France, élites éclairées pro-occidentales, et qui font par nature le bon choix, contre peuple pulsionnel, "soumis aux tentations" du repli, de la xénophobie, du populisme, etc. Guetta voit le peuple russe comme le peuple français (à moins que cet ancien brillant correspondant dans les pays communistes, né au journalisme avec les dissidences des années 70, ne voie le peuple français comme le peuple russe, ce qui expliquerait bien des choses): divisé en deux, la bonne moitié qui pense contre la mauvaise moitié qui tremble, une moitié qui raisonne et une moitié qui grogne. Et tout ceci, bien entendu, du haut de la supériorité démocratique occidentale. Bref, il nous ferait presque, et c'est un comble, aimer Poutine.

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