Manifs : cinq vidéos de violences policières au crible

Manuel Vicuña - Lynda Zerouk - - 21 commentaires

Tirs de flashball en pleine tête, main arrachée, altercation entre des gendarmes et un homme en fauteuil roulant... Arrêt sur Images revient sur certaines des vidéos de violences policières filmées les 8 et 9 décembre, massivement partagées sur les réseaux sociaux.

C’est un flot d’images qui ne cesse de grossir depuis le début de la mobilisation. Bavures policières, tirs tendus de flashball, manifestants tabassés, blessés - parfois grièvement - par des projectiles de maintien de l’ordre. Autant de vidéos que le journaliste David Dufresne répertorie depuis le 4 décembre, pour mieux documenter l’usage de la violence par les forces de l’ordre, et ses dérives. Arrêt sur images revient sur certaines de ces vidéos et leur contexte. 

PARIS : fiorina, 20 ans, éborgnée

Depuis le début de la protestation des gilets jaunes, le nombre de blessés par des tirs de flashball ne cesse d’augmenter, visant les visages, ce que la loi interdit. Dans la journée du samedi 8 décembre, au moins deux manifestants ont perdu un œil de cette façon, dont Fiorina, une étudiante de 20 ans qui se trouvait face à l’Arc de Triomphe, non loin du magasin Cartier. Les images la montrent gisant au sol, tandis qu’un Gilet jaune maintient sur ses yeux une compresse imbibée de sang. La séquence a fait le tour des réseaux sociaux. Publiée le 8 décembre sur Facebook par Adrien Lemay, elle a atteint à ce jour plus de 2 millions de vues et près de 6500 partages. 

CheckNews qui a relaté la scène et surtout authentifié la vidéo, rapporte qu'Adrien Lemay est intervenu en tant que "street medic" pour apporter les premiers secours aux blessés, avant que les pompiers ne prennent le relais. Le service de fact-checking de Libération confirme que la jeune femme, admise aux urgences ophtalmologiques de l’hôpital Cochin, "a perdu la vision de l’œil gauche et ne la retrouvera jamais"La jeune étudiante a par ailleurs été présentée comme "une patriote" par le militant d’extrême droite Damien Rieu depuis son compte Twitter. Lequel a organisé sur le site leetchi une cagnotte en soutien à la victime. Le montant de la collecte a déjà atteint, ce lundi 10 décembre, plus de 15 000 euros.

Seul CheckNews a consacré un article complet à ce sujet, repris ensuite par le site Sputnik.

Autre victime éborgnée : un homme de 41 ans atteint alors qu’il manifestait dans les rues de Bordeaux, comme le rapporte France Bleu

BORDEAUX : ANTOINE, 26 ans, Une main arrachée

Ce samedi 8 décembre à Bordeaux, aux abords de la place Pey Berland, un manifestant bayonnais de 26 ans a eu la main arrachée par l’explosion d’une grenade lacrymogène explosive qu'il tentait de relancer sur les forces de l'ordre. La scène, d’une extrême violence, a été filmée puis partagée sur Twitter dès le soir du 8 décembre. Sur cette vidéo d’une trentaine de secondes, la situation est d’abord confuse ; plusieurs Gilets jaunes de dos se tiennent à quelques mètres d’un départ de flammes, on entend plusieurs détonations. Soudain, un manifestant se retourne, poussant un hurlement et se tenant l’avant-bras. Face caméra, on aperçoit soudain son bras en lambeau, sans main. Dans la foule, des cris d’effroi. Nous avons capturé la vidéo mais sachez-le : les images sont insoutenables. 

Présent sur place, France 3 Aquitaine a été l’un des premiers médias à  faire état de la situation, en partageant le jour-même sur Twitter une vidéo tournée par l’un de ses journalistes, sur laquelle le manifestant, allongé sur un brancard, est emmené par les services de secours. 

Hospitalisé, le jeune homme s’est confié depuis à France Inter, qui ce lundi 10 décembre publie son témoignage. On peut y lire que "Antoine", 26 ans, "militant de gauche, engagé" manifestait samedi "pour la première fois depuis le mouvement des Indignés, il y a huit ans." 

 Le jeune homme raconte : "Il y avait un feu au niveau du tram Hôtel de ville, j'ai essayé de voir ce qui se passait, et là un truc roule à mes pieds. Je n'ai pas réfléchi, je ne savais pas ce que c'était, je décide de le prendre à la main et de le relancer. Et le truc explose, ma main explose, je ne me rends pas tout de suite compte que ma main a explosé, je pense que quelque chose m'a tapé et que la main est engourdie." Elle vient pourtant d’être arrachée. Antoine a désormais "un moignon bandé à la place de main et le haut des jambes criblés de morceaux de plastique et de métal", explique France Inter. 

En cause : le type de grenade, probablement une GLI-F4, comme l'écrit l'AFP.Soit une grenade lacrymogène et assourdissante, contenant une charge explosive de TNT de 25 grammes. Une arme militaire que seule la France utilise en Europe dans ses opérations de maintien de l’ordre. Le 30 novembre dernier, un collectif d’avocats publiait une lettre au gouvernement pour en demander l'interdiction pure et simple. Depuis le début de la mobilisation, Antoine n’est pas le premier manifestant a avoir été mutilé de la sorte. Le 24 novembre, un jeune homme de 21 ans avait eu la main arrachée après avoir ramassé une grenade lancée par les forces de l’ordre avenue Franklin Roosevelt à Paris. Le 1er décembre, un autre manifestant, âgé d’une cinquantaine d’années, a perdu sa main à Tours après avoir, là aussi, saisi une grenade lancée par les forces de l'ordre.

 Ce lundi après-midi, Antoine s'est aussi confié à Libération : "Je n’en veux pas forcément aux flics, ils ont des ordres. Et vu tout ce qui s’est passé depuis le début du mouvement, ils ont du avoir peur que ça parte en vrille eux aussi. Mais des grenades contre des œufs ou même des cailloux, c’est totalement disproportionné !"  De son côté, l'AFP écrit que selon deux de ses journalistes présents samedi soir sur place, les projectiles lancés contre les forces de l'ordre ne consistaient pas uniquement en œufs et en cailloux, mais en pavés, fusées d'artifices, bombes artisanales d'acide, etc. A Bordeaux, la manifestation de ce 8 décembre a fait 38 blessés, dont 6 parmi les forces de l'ordre.  

paris : un Tir de flashball dans la poitrine

Toujours ce samedi 8 décembre, au matin, un manifestant en gilet jaune a reçu un tir de flash-ball alors qu’il se tenait debout, les mains en l’air, sur l’avenue des Champs-Élysées. Sur la vidéo, quelques dizaines de CRS lui font face. L’homme ne présente aucun danger pour les forces de l’ordre, ses mains sont bien en évidence et son corps immobile. Mais en quelques secondes, le tir d’une balle de défense atteint son abdomen.

Une autre vidéo de la même scène prise sous un angle différent présente le contexte de l’attaque : un mur de CRS fait face à une dizaine de journalistes identifiables par leur matériel et leurs brassards et casques marqués "PRESSE". Quelques mètres séparent les deux camps. On distingue alors l'homme habillé d’un gilet jaune qui s’avance lentement vers les forces de l’ordre, les mains en l’air et l’air pacifique. Il s’arrête à quelques mètres, reste debout et immobile avant de se faire attaquer. Dans la foulée, les CRS poursuivent leur offensive par le tir d’une grenade de désencerclement. La vidéo se clôture par des images d’un photojournaliste indépendant, Maxime Reynié, blessé aux jambes par la grenade désencerclante. Ses blessures ont entraîné 7 jours d’arrêt de travail, selon son tweetFilmée par une journaliste indépendante présente sur les lieux, la vidéo est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux où elle a été visionnée 1,5 million de fois en une journée

hérault : Altercation gendarmes / handicapé

Un jour seulement après sa publication sur Facebook, dimanche 9 décembre, une vidéo montrant une altercation entre des gendarmes et une personne en fauteuil roulant a atteint plus de dix millions de vues. La séquence a suscité une véritable polémique. Elle montre des gendarmes mobiles en pleine évacuation d’un point de blocage des gilets jaunes à Bessan (Hérault), au niveau de l’échangeur de l’autoroute A9. Un homme assis sur son fauteuil roulant est sur le bas-côté de la route, et deux gendarmes le soulèvent et le déplacent sur le trottoir malgré ses protestations. Il est repris en main par deux manifestants mais tout à coup un gendarme l'agrippe. "Il est armé, il est armé", alerte-t-il en essayant d'extraire un objet localisé au niveau de son ventre. S'ensuit une bousculade entre Gilets jaunes et les gendarmes, au point de renverser l’homme en arrière. "Il a une matraque, attention les gars", s’alarme alors un autre gendarme. La personne handicapée est relevée ensuite par les Gilets jaunes, et reconnaît qu’il a toujours une matraque sur lui. "Gilets jaunes ou pas gilets jaunes, je l’ai tout le temps sur moi", se défend-il.

La vidéo, très vite devenue virale, a suscité de vives polémiques, plusieurs internautes faisant part de leur indignation et leur émotion. Ce qui a incité la Gendarmerie nationale à se fendre d’un communiqué dans lequel elle explique que l’opération visait à mettre en sécurité l’homme en fauteuil roulant, tandis qu'il s'est montré "insultant" et a opposé un refus "de coopérer ". "Les gendarmes détectent alors une matraque téléscopique (arme de catégorie D), dissimulée sous sa sacoche" précise le communiqué, ajoutant qu’il a "résisté", lorsqu’un gendarme a tenté de la lui retirer. L’altercation a largement été relayée. En plus des réseaux sociaux, la vidéo a fait le tour des médias (Hérault tribune,France Bleu, Franceinfo,Le Parisien, etc.)

PARIS : "Si vous voulez rester en vie..."

Une vidéo tournée le samedi 8 décembre montre le niveau de violence verbale côté policiers. On y voit un CRS prendre à partie un homme. "C’est pas possible, trois semaines que vous nous cassez les couilles maintenant", lance-t-il. Et ajoute : "Si vous voulez rester en vie, vous rentrez chez vous, vous n’avez rien à branler ici." L'homme répond : "Pourquoi ? On n'a pas le droit de revendiquer en France ? C'est des menaces, c'est quoi ça monsieur ?"

L’auteur de cette vidéo, Raymond Macherel, qui tient un blog sur Mediapart, est revenu sur les circonstances de la scène dans un long billet. Il rapporte que le CRS s’adressait à un photographe indépendant. 

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Avec Sabrine Mimouni

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