Geneviève Legay : retour sur une semaine d'intox des autorités

Juliette Gramaglia - - 35 commentaires

Pas en contact avec les forces de l'ordre, soignée par les street médics, poussée par un policier "isolé"... Depuis le 23 mars, Emmanuel Macron et le procureur ont multiplié les déclarations contradictoires - et mensongères - sur les circonstances de la chute de Geneviève Legay à Nice lors de l'Acte 19 des Gilets jaunes. Petit résumé.

Le procureur de Nice l'a finalement admis. Ce vendredi 29 mars, lors d'une conférence de presse, Jean-Michel Prêtre a reconnu que la porte-parole niçoise de l'association Attac Geneviève Legay avait bien été poussée par un membre des forces de l'ordre. Confirmant ainsi ce que plusieurs médias et l'avocat de la septuagénaire assuraient depuis plusieurs jours - nous vous dévoilions ici comment CNews était passée à coté de ses propres images de la scène. Le procureur continue cependant à avancer des éléments que viennent contredire certaines images. Avec cet aveu, c'est en tout cas toute la communication du chef de l'Etat et du procureur depuis la chute de la militante, samedi 23 mars lors de l'Acte 19 des Gilets jaunes, qui s'écroule. Retour sur une semaine et des propos multiples et erronés. 

"Aucun contact avec les forces de l'ordre"

La première parole officielle dédouanant les forces de l'ordre arrive lundi 25 mars au matin, deux jours après la chute et l'hospitalisation de Geneviève Legay pour plusieurs fractures graves, notamment au crâne. C'est Emmanuel Macron lui-même qui ouvre la danse, avec une interview donnée à Nice-Matin. Souhaitant un "prompt rétablissement" à la militante, mais aussi "une certaine forme de sagesse", le chef de l'Etat assure alors : "Cette dame n'a pas été en contact avec les forces de l’ordre. Elle s'est mise en situation d'aller dans un endroit interdit, de manière explicite, et donc d’être prise dans un phénomène de panique."

Une ligne de com' suivie le soir même par le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre. Lors d'une conférence de presse, celui-ci assure : "Il n'y a aucun contact direct entre un policier et cette dame". Il explique alors, assurant s'appuyer sur de multiples images filmées de la scène : "Geneviève Legay n'est pas tombée toute seule, elle a été poussée par l'arrière et a chuté en arrière pendant la charge des policiers, dans le mouvement de foule". Et d'ajouter encore : "Ce dont on est sûr aussi à la vue des images, pixels par pixels, c'est qu’elle n’a pas été touchée par les forces de police, par un bouclier ou par un homme". Et de citer la présence de trois personnes autour d'elle, dont un caméraman. Laissant entendre que l'un d'eux pourrait être responsable. 

Lors de cette même conférence de presse, rappelle Le Monde le 29 mars, le procureur assure également que des "street medics" sont aussitôt venus en aide à la blessée. Sauf que, rétorque le quotidien, "selon plusieurs témoignages concordants, ces derniers ont en réalité été bloqués par un commissaire de police alors qu’ils voulaient venir en aide à la militante blessée".

Le PV de Flic qui contredit le procureur

La version officielle, rapidement largement contestée par plusieurs médias sur la base de vidéos et de photos (dont celles de CNews que nous vous avons détaillées ici), est encore fragilisée par le procès-verbal d'un policier en date du 23 mars. Le jeudi 28 mars, Mediapart en cite un extrait, qui contredit la version officielle. "Selon les premiers éléments recueillis, la septuagénaire aurait été bousculée par un homme qui portait un bouclier, sans plus de précisions [sic]", rapporte le site d'information, citant ce PV. 

De son côté, Le Monde publie le 29 mars au matin un article qui remet en cause plusieurs affirmations du procureur : sur l'implication des forces de l'ordre dans la chute de Legay ; sur l'intervention des street medics évoquée plus haut ; mais aussi sur la charge des policiers en elle-même, jugée "disproportionnée" par plusieurs personnes interrogées par le quotidien. Sur la responsabilité d'un membre des forces de l'ordre dans la chute de la militante, le procureur assure encore ce vendredi matin auprès du Monde  "rester sur sa ligne de lundi" et considérer les faits "indiscutables".

Le procureur admet... et donne de nouveaux (faux) éléments

Il ne faut que quelques heures au procureur de Nice pour changer radicalement de version. Le 29 mars en fin de journée, Prêtre tient une nouvelle conférence de presse. Il y explique alors, comme le rapportent de nombreux sites d'information, que les éléments étudiés l'amènent à conclure "qu'avant l'arrivée du cordon de ses collègues au niveau où se trouvait Geneviève Legay, un fonctionnaire de police isolé et dépourvu de bouclier avait écarté du bras vers sa droite Mme Legay, provoquant ainsi (sa) chute".

La responsabilité des forces de l'ordre est désormais reconnue par le procureur lui-même. Problème : ce dernier évoque un fonctionnaire de police "isolé" qui "écarte du bras vers sa droite" la porte-parole d'Attac. Or, les images de CNews que nous avons étudiées montrent tout autre chose : un fonctionnaire de police bien entouré de ses collègues, qui utilise ses deux bras pour pousser Geneviève Legay

Les propos du procureur peuvent laisser à penser que la responsabilité de la chute serait individuelle, celle d'un policier isolé qui ne répondait pas à des ordres. Une mise en cause directe qui ne semble guère convenir au policier en question. Ce dernier, en plus d'avoir exprimé ses "regrets", a répondu par l'intermédiaire de son avocat aux déclarations de Prêtre. L'avocat a ainsi fait savoir que le policier "n'a agi que dans le strict respect des ordres données par sa hiérarchie". Faisant référence à la charge policière que l'on voit dans la vidéo ci-dessus, et qui est intervenue, assure l'avocat, après les trois sommations réglementaires.

De son côté, Emmanuel Macron ne s'est plus exprimé sur le sujet, pas même pour revenir sur ses affirmations du lundi 25 mars à Nice-Matin.

Geneviève legay interdite d'interviews

Et Geneviève Legay dans tout ça ? Toujours hospitalisée, on ne l'a pas encore entendue s'exprimer. Et pour cause. Lundi dernier, le journaliste de Quotidien Paul Larrouturou tente de la rencontrer. "Geneviève Legay voulait nous rencontrer, et donc on est arrivés avec l'autorisation écrite de sa famille pour la rencontre. Sauf que l'hôpital a refusé de nous laisser entrer dans sa chambre", explique-t-il. En cause, l'état de santé de la militante, dont les filles expliquent que de nouvelles fractures ont été découvertes. 

Quatre jours plus tard, vendredi 29 mars, Quotidien a de nouveau tenté de rencontrer Geneviève Legay, avec son accord explicite (Larrouturou filme sa conversation avec la militante, qui accepte de le rencontrer). Mais à nouveau, l'hôpital refuse, avançant toujours l'état de santé de la patiente. Au grand dam d'une des filles de Legay, interviewée par Larrouturou, qui explique ne pas comprendre la décision de l'hôpital.

Une décision qui surprend d'autant plus cette femme que la police, elle, s'est rendue dès le 23 mars, jour de la chute, au chevet de Geneviève Legay. D'après les filles de Legay, interrogées par Le Monde, le but était de lui "faire dire que c’était un cameraman qui l’avait bousculée, et pas les forces de l'ordre [...] Elle a évidemment refusé de changer son témoignage, précise l’une de ses filles". Résultat, en plus d'avoir porté plainte pour "violence en réunion avec arme par personnes dépositaires de l'autorité publique contre personne vulnérable", les filles de Geneviève Legay ont annoncé dès lundi 25 mars avoir porté plainte également pour "subornation de témoins". 

La version de la famille sur cette visite (réitérée le lendemain, assurent-elles) est pour le moment corroborée par un procès-verbal auquel Mediapart dit avoir eu accès, et qui raconte cette visite des forces de l'ordre. "Lors de l’audition de Geneviève Legay, la policière l’interroge effectivement sur la présence d’un journaliste et lui demande si elle se rappelle de lui et de ses agissements. En revanche, lorsque la victime affirme avoir été poussée par les forces de l’ordre, elle ne lui demande pas de détailler son récit", raconte le site d'information.

L'avocat des trois filles de la porte-parole d'Attac a demandé jeudi 28 mars à ce que l'enquête soit dépaysée dans un autre tribunal que celui de Nice, accusant le procureur d'un manque d'objectivité. 

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