Fuites / Audiovisuel : Nyssen annonce porter plainte. Doutes sur la recevabilité

Juliette Gramaglia - - 0 commentaires

Tensions entre Le Monde et la ministre de la Culture. Françoise Nyssen a annoncé vouloir porter plainte contre X après la publication par le quotidien de documents internes sur des pistes de réformes de l'audiovisuel public français. Une plainte qui, selon le ministère, ne vise pas directement le Monde, mais est dénoncée par le directeur de la rédaction comme une attaque contre la protection des sources.

C'est une nouvelle séquence "gouvernement contre presse". La ministre de la Culture Françoise Nyssen a fait savoir lundi 13 novembre qu'elle avait l'intention de porter plainte contre X après un article du Monde citant un document interne au ministère.

De quoi s'agit-il ? Le quotidien s'est procuré une synthèse de 31 pages, sur laquelle il a publié un premier article lundi 13 novembre, et qui fait part de "pistes exposées le 3 novembre par le ministère dans sa «contribution au Comité action publique 2022», ou «CAP 22»". Un comité qui vise à proposer d'ici à mars 2018 des réductions de dépenses publiques. Pour rappel, le projet de loi de finances de l'année qui vient prévoit une baisse de budget pour l'audiovisuel public.

D'après Le Monde, le texte interne "envisage de regrouper France Télévisions, Radio France et les autres sociétés du secteur au sein d'une structure commune, une «holding», mais aussi de supprimer France Ô, la chaîne des outre-mer, ou de cantonner les médias jeunesse France 4 et la radio Le Mouv' à une diffusion seulement numérique". Par ailleurs, le document "n'exclut pas des suppressions de postes", poursuit le quotidien, alors que France Télévisions ne remplace déjà pas un départ à la retraite sur deux. Qualifié par le cabinet de Nyssen de "document de travail", dont "les hypothèses ne sont pas validées par la ministre", la synthèse proposerait également une réorganisation des réseaux de France 3 et de France Bleu, ainsi qu'une fermeture des bureaux régionaux de France 2.

Par ailleurs, le ministère souhaiterait, selon Le Monde, "retirer au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le pouvoir de nommer les présidents [des groupes audiovisuels publics], afin de le confier aux conseils d'administration des sociétés concernées, en révisant au passage leur composition". Quand à la holding imaginée par le ministère, "le gouvernement devra aussi en principe imaginer comment [elle] sera commandée", note le quotidien. Qui ajoute : "Et nommer potentiellement ce nouveau dirigeant".

La plainte de Nyssen

La réponse de la ministre de la Culture à cette fuite n'a pas tardé. "J'ai découvert, avec stupéfaction, que des documents internes au ministère de la Culture avaient été divulgués. Il s'agit de documents contenant des pistes de travail, et non validés", a fait savoir cette dernière par un communiqué de presse lundi 13 novembre. Nyssen conclut : "J'ai l'intention de porter plainte contre X après cette diffusion de documents provisoires, qui n'avaient pas vocation a être rendus publics". On ignore pour le moment sous quelle qualification juridique la ministre compte porter plainte.

Le directeur de la rédaction du quotidien Luc Bronner a aussitôt dénoncé une "démarche inquiétante". "Car, si son entourage assure que la plainte ne vise pas Le Monde, elle cible, de façon évidente, nos sources d'information en cherchant à les tarir par la menace de poursuites judiciaires", écrit Bronner. Et de dénoncer "une culture du secret en opposition complète avec la défense de la liberté de la presse et de la protection des sources". Le quotidien a également publié mardi 14 novembre un article plus général sur "les pistes de réforme envisagées pour la culture", se basant sur le même document de synthèse.

Le précédent Pénicaud

Au-delà de la question de la liberté de la presse, et des relations compliquées entre le gouvernement Macron et les médias (notre dossier est ici), l'avocat et ancien secrétaire général du Conseil national du numérique (CNN) Jean-Baptiste Soufron s'interroge dans un post de blog sur la recevabilité de la plainte de la ministre, qui vise "un ou plusieurs fonctionnaire(s) qui ont diffusé des documents de travail à l'extérieur de leur administration sans l'accord de leur hiérarchie". L'avocat rappelle la différence entre discrétion professionnelle (qui interdit de révéler toute information relative au fonctionnement de son administration, d'après le site de la fonction publique), et secret professionnel (qui interdit de divulguer des informations personnelles, relatives par exemple à la santé ou au comportement d'une personne). D'après Soufron, "la communication des documents de travail ne relève pas d'une atteinte au secret professionnel du fonctionnaire, mais seulement d'une atteinte à son obligation de discrétion professionnelle". Et dans ce cas, les sanctions devraient alors être "de nature administratives" (pouvant aller jusqu'au renvoi du ou des fonctionnaires), et non pas pénale, et nécessiteraient plutôt une enquête interne qu'une saisine de la justice.

Ce n'est pas la première fois qu'un membre du gouvernement use de la carte judiciaire. En juin dernier, la ministre du travail Muriel Pénicaud avait annoncé porter plainte contre X pour "vol", "violation du secret professionnel" et "recel". Cette plainte intervenait après la divulgation par le quotidien Libération de documents du gouvernement portant sur la modification du code du travail. Quelques jours après, la ministre abandonnait la plainte pour "recel", qui visait directement le quotidien, pour ne garder que les plaintes visant les sources de Libération. Une plainte que plusieurs journalistes dénonçaient déjà à l'époque comme une atteinte à la liberté de la presse.

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