France 2 zappe "l'autre" Oradour
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesL'histoire d'Oradour pourrait être monstrueusement simple
: le massacre de 642 villageois limousins par un détachement SS, le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement allié en Normandie. Et cette histoire-là, c'est l'Oradour que l'on raconte, l'Oradour que l'on a transmis, enseigné à l'école, l'Oradour qu'ont chanté les poètes, qui occupe l'imaginaire national, l'Oradour devenu quasiment nom commun, synonyme d'un épouvantable massacre de civils par une armée rendue à la barbarie, en une antonomase nationale. C'est l'Oradour que nous racontait le 20 heures de France 2, à la veille de la visite que doivent y effectuer mercredi les présidents français et allemand. |
Mais il y a une autre histoire d'Oradour, totalement zappée par France 2 : celle qui commence après Oradour. Celle du procès, à Bordeaux, en 1953, de ces "malgré-nous" alsaciens et mosellans, enrôlés dans les SS, et jugés et condamnés pour leur participation au massacre. Ce jugement, et son amnistie immédiate par l'Assemblée sous la pression, notamment, des députés alsaciens, déclenchèrent une autre guerre, celle de deux mémoires, de deux blessures, mémoire alsacienne de défense des "malgré nous", contre mémoire limousine des familles de massacrés. Une guerre qui ne fit aucun mort, mais inexpiable, interminable, souterraine, expliquant par exemple que deux présidents français n'aient jamais osé faire le voyage d'Oradour, guerre que racontent fort bien la notice Wikipedia d'Oradour, l'enquête en immersion dans les archives de Thomas Wieder dans Le Monde, ou encore l'historien Denis Peschanski sur France Inter ce matin.
Cette seconde histoire "franco-française" d'Oradour est-elle secondaire, par rapport à la première ? Du point de vue de l'histoire de la guerre, évidemment. Mais sur le plan politique, ou historiographique ? A chacun d'en juger. Elle est, en tout cas, bien moins racontable : c'est une histoire sans héros, ou plutôt dont les pauvres héros, les fameux malgré nous, sont à la fois bourreaux et victimes, aussi difficiles à plaindre qu'à blâmer (quelques minutes après l'intervention de Peschanski rappelant le zèle dans le massacre des "malgré nous" condamnés à Bordeaux, France Inter diffusait ainsi un reportage où on entendait les survivants réclamer leur réhabilitation !) On la découvre en général au hasard d'une recherche pointue, ou d'un surf en roue libre sur la Toile. Ce ne sont pas des histoires telles que les aiment les manuels d'Histoire majuscule, ni -et c'est une nouvelle confirmation- les journaux télévisés.