France 2 travestit une manif d'enseignants

Simon Mauvieux - - 13 commentaires

Samedi 13 avril, à Saint-Denis (93), des enseignants manifestaient contre la loi Blanquer, comme chaque semaine. Mais les JT ont prétendu que le rassemblement avait pour objet une agression survenue dans un collège deux jours avant.

"Des professeurs, des parents d’élèves et des syndicalistes en colère. Ils manifestent ce matin sur le parvis de la Basilique de Saint-Denis. Une de leurs collègues a été agressée par un élève jeudi dans un collège ", nous dit la journaliste Maryse Burgot au 13 heures de France 2, samedi 13 avril.

"Des faits extrêmement graves, qui ont poussé professeurs et parents d’élèves à manifester ce matin ", lance quant à elle la présentatrice du 13 heures de TF1.

Deux jours plus tôt, une professeure du collège Elsa-Triolet, à Saint-Denis, a été agressée par un ancien élève, entré dans une classe en cassant une fenêtre et prétendant commettre "un attentat". Pistolet à billes à la main, il a tiré a plusieurs reprises sur la professeure. Immédiatement, les enseignants se sont mis en grève. Samedi 13 avril, l'événement intéresse une dizaine de journalistes dont France 2 et TF1. Ils se rendent à Saint-Denis pour interviewer des enseignants, à l'endroit où se déroule la manif hebdomadaire contre la loi Blanquer. La présence de ces nombreux journalistes intrigue un enseignant, qui écrit à Arrêt sur images"Samedi dernier, nous manifestions comme d'habitude devant la basilique de Saint-Denis. Depuis trois semaines, nous n'avons jamais vu aucun journaliste à part une journaliste de Mediapart et une du JSD (Journal de Saint-Denis). Or, en arrivant, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir des caméras de télé, des journalistes dans tous les coins (Europe 1, TF1, France2, BFM...). Ils voulaient nous interviewer expressément sur les faits de violence commis la veille au collège Elsa-Triolet, mais évidemment pas sur les réformes qui étaient l'objet central de notre rassemblement."

un commentaire sciemment erroné

C'est la fin de la matinée, et quelques dizaines de professeurs et de parents d’élèves se sont en effet rassemblés devant la basilique de Saint-Denis, pancartes, mégaphones et drapeaux à la main, pour s'opposer à la loi Blanquer. France 2, notamment, va utiliser les images de cette manifestation en prétendant qu'elle a pour objet la violence au collège Elsa-Triolet. Au début du reportage de France 2 (voir ci-dessus), on entend chanter (en tendant l'oreille) "Jean-Michel Blanquer, on veut pas bosser pour toi", sur l'air, façon Gilets jaunes, de "Emmanuel Macron, on vient te chercher chez toi". Pourtant, le commentaire plaqué sur la chanson et les images de manif assène que le rassemblement concerne l'agression au collège. Outre la chanson, un autre indice suggère que la manif ne concerne pas l'agression :  un panneau qui stigmatise "les préfets, les patrons, les ministres" dans une allusion ironique à la loi anti-casseurs. Est-ce parce qu'il contient le mot "violence"? Il apparaît à l'écran. Mais... très rapidement. 

Sur TF1, c'est un peu moins trompeur, mais on nage dans la confusion. La présentatrice annonce une manifestation contre l'événement violent à Elsa-Triolet, mais la journaliste évoque un rassemblement "contre la loi Blanquer"

La manifestation était prévue depuis une semaine, à l'initiative, notamment, de SUD-Education, du SNES et du SNUIPP, de la FCPE (Fédération des conseils des parents d’élèves), du collectif "Parents-profs en lutte à Saint-Denis" et des "Stylos rouges du 93"Ils étaient là pour protester contre ce qu’ils appellent "le casse de l’éducation nationale". L’appel à manifester de la Fédération des conseils des parents d’élèves de la Seine-Saint-Denis (FCPE) était clair, incitant à se rassembler "face aux réformes de l’Éducation nationale, qui organisent l’accroissement des inégalités, l’élitisme, l’évitement scolaire dans un rapport autoritaire de l’État avec la communauté éducative, tout en diminuant les moyens humains". Un communiqué jamais mentionné dans les JT de TF1 et France 2. Les Stylos rouges du 93, un groupe de professeurs opposés à la réforme Blanquer, ont tourné des images en direct sur leur page Facebook, qui montrent la vraie teneur du rassemblement.

France Info, dans un article publié dimanche 13 avril, fait le lien entre le manque de moyens dans l'Education nationale et la violence dans les écoles, mais sans dire un mot de la réforme Blanquer. Le site s'est lui aussi trompé sur la nature de la manifestation. 

"ils n'ont gardé que la violence"

Mohamed Boujemaoui, manifestant et professeur de mathématique dans un lycée du département, a été approché par France 2, TF1, BFMTV, France Info et M6. Il a accepté de répondre aux questions des journalistes. "J’ai accepté, mais j’ai été déçu, témoigne-t-il, ils n’ont gardé que les points qui les intéressaient, c’est-à-dire la violence". Il apparaît 10 secondes sur TF1 pour raconter un événement vécu dans son ancien lycée, où deux élèves se sont battus à coup de hache. L’histoire est spectaculaire... bien plus que la loi Blanquer. "Tout le reste de la conversation n’a pas été gardé. Pourtant, sur les 3 minutes passées avec le journaliste, j’ai parlé pendant deux minutes de la réforme", explique-t-il. Un journaliste de BFMTV est également venu le voir. "Il a été clair dès le début, poursuit Mohamed, il cherchait un collègue de la professeure agressée quelques jours plus tôt", rien d’autre. Mohamed n'enseigne pas dans ce collège, il passe alors son tour.

La violence à l’école est pourtant un réel enjeu pour ces professeurs, pour qui l’agression de jeudi 11 avril n’a rien d’exceptionnelle, compte tenu des moyens dont disposent les établissements scolaires. Mohamed Boujemaoui avait justement des choses à dire sur la réforme Blanquer et la violence dans les écoles. "On a expliqué aux journalistes qu’on avait besoin de moyens humains, notamment en Seine-Saint-Denis, c’est-à-dire plus de surveillants, plus de psychologues, plus de conseillers principaux d'éducation, pour mieux encadrer les élèves", argumente-t-il. Ulcérés par cette couverture médiatique, plusieurs professeurs et parents d’élèves ont écrit une lettre au médiateur de France 2. 

France 2 n'a pas répondu à nos sollicitations.

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