Foot : la sambaïsation du monde

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Et TF1 tendit enfin le micro à François Hollande. On lui devait bien ça.

Tout le match durant, il avait été privé de plans de coupe, pas un seul plan sur le président lors d'aucun des trois buts français, à croire que TF1 était entré en résistance, contre la remise à plat fiscale déjà, contre les 75%, contre on ne sait quoi. On se souvient des gesticulations de Chirac, des écharpes de Sarkozy. Rien sur Hollande. Et à la fin, tout de même, comme un lot de consolation, ce micro, allez, tu as quelques secondes pour faire ta récup, tenter ta chance, récupérer un demi-point au prochain SOFRES, c'est maintenant ou jamais. Et Hollande, docile : "il y a des occasions parfois d'être en colère, ou inquiet, aujourd'hui il faut savourer la victoire". Très bien. Parfait. Merci. Déjà la journaliste va conclure, mais Hollande continue : " Elle est dûe à son équipe de France, et à l'entraineur. L'entraineur, ça compte".

Voilà. Hollande a nourri la machine du lendemain. Car un lendemain de match n'est pas seulement un lendemain de match. Le lendemain de victoire, c'est le moment de la réflexion. Le moment où, dégrisés, la raison reprend ses droits, où l'on contemple en face la joie débridée de la veille, un peu honteux, un peu indulgents, à l'égard des grands enfants ivres que nous fûmes, hier soir, mais qui nous le reprocherait ?

Le plus pénible, dans un emballement footballistique, ce n'est pas le match en lui-même. Il peut arriver qu'un match de football constitue un spectacle parfaitement regardable (de préférence en coupant le son, mais on n'est même pas obligé). Le problème, c'est l'avant, l'après, l'autour, ce débordement tranquille, cet empiètement, ce hooliganisme pépère, consensuel, sûr de l'impunité, de l'actualité footballistique, de l'imaginaire footballistique, sur tous les domaines contigus, la vie sociale, économique, familiale, tout ce qui n'aurait aucune vraie raison d'être ainsi annexé, et subit tout de même la loi de la chaussure à crampon. Ce sont bien sûr les mêmes qui demain, vitupéreront les supporters algériens, pour s'être répandus dans les rues, avoir pris les bus d'assaut, et fait les fous sur les voies du métro. Les mêmes qui aujourd'hui s'abandonnent à cette abdication partielle et semi-volontaire de la lucidité, ces politiciens qui récupèrent la liesse des victoires, ces journalistes qui, dans une indulgence partagée, demandent aux politiciens s'ils sont fondés à récupérer ainsi la liesse des victoires, ces géopoliticiens qui délirent sur le lien entre crise et samba, ces présentateurs qui se peinturlurent avant le match, qui commencent leur journal par "ce n'est bien sûr que du foot, mais quand même", ces sondeurs qui sondent les sondés sur leur degré de bonheur après la victoire, cette condescendance générale autour de la sambaïsation présumée du populo que l'on partage sans la partager tout en la partageant, soixante millions de sélectionneurs, soixante millions de sociologues, une petite bouffée de bonheur dans la dureté des temps, on peut quand même bien leur laisser ça, on ne va pas les embêter un jour comme aujourd'hui.

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