Faux analystes pour influencer une opération en bourse (JDN)
Justine Brabant - - Intox & infaux - 0 commentairesDe faux profils d'analystes financiers ont été utilisés par des agences de communication afin d'influencer le déroulement d'une opération boursière concernant le groupe Club Med, affirme le Journal du Net, qui a publié la tribune de l'un d'eux avant de se rendre compte de la "tromperie". Ce n'est pas la première fois que le site pointe du doigt ce type de surpercherie.
C'est un surprenant avertissement sur lequel sont tombés les lecteurs du Journal du Net (JDN). En haut d'une chronique financière concernant une OPA sur le groupe Club Med, la rédaction du site d'informations économiques avertit : "Cette chronique déposée par un contributeur semble manifestement relever de la diffusion de fausses informations et de la tromperie. Nous l'avons analysée en détails dans cet article et ne l'avons laissée en ligne uniquement afin de servir de démonstration à notre enquête."
L'avertissement du JDN à ses lecteurs
À première vue, la "tromperie" n'est pas évidente : le billet porte sur une bataille boursière entre un conglomérat chinois, Fosun, et un consortium dirigé par une homme d'affaires italien, Andrea Bonomi, afin de prendre le contrôle du groupe Club Mediterrannée. Son auteur émet des doutes sur le sérieux de l'offre italienne : "vision floue de l’avenir industriel de l’entreprise", partenariats qui "manquent d'ambition", stratégie "qui pourrait finir par plomber l’entreprise à long terme"... Son auteur, Marc Fortin se décrit comme "analyste financier" chez "MFR business". Son profil professionnel Linkedin indique qu'il exerce ce métier depuis septembre 2008, et qu'il est diplômé de l'école de management de Grenoble.
Le profil de Marc Fortin sur le réseau professionnel Linkedin
Un profil on ne peut plus sérieux, à un détail près : Marc Fortin n'existerait pas. Selon le JDN, il s'agirait d'une fausse identité, et d'un billet destiné à influencer les marchés. Le site, qui s'est dans un premier temps laissé berner en publiant la tribune, revient sur cette "mystification très élaborée" dans un article publié ce lundi. En remontant la piste de ce contributeur, le site s'est aperçu que son adresse IP renvoyait vers un abonnement utilisé notamment par iStrat, un "cabinet d'intelligence économique spécialisé dans la communication d'influence et la communication digitale".
Le JDN ne dispose pas de preuves formelles permettant de démontrer qu'iStrat est derrière le billet de "Marc Fortin", mais a relevé d'autres profils suspects qui laissent penser à une action d'envergure destinée à influencer les marchés : celui de "Guillaume Barabe, consultant marketing" qui a publié un billet dans Les Echos (retiré depuis, mais dont le JDN a enregistré une copie) lui aussi plutôt favorable à Fosun, ou encore celui de "FabriceBL" qui sur un blog Mediapart estime que le concurrent italien n'est "pas l'homme de la situation". Comment le JDN a-t-il eu l'idée de remonter la piste de cet analyste, en apparence bien réel ? Car à force d'en être victime, le site Internet a acquis une certaine expertise en matière de débusquage de sociétés d'influence économique avançant sous couvert de tribunes libres "d'experts". Dans une enquête en deux volets (ici et ici) publiée en septembre 2013, le site racontait ainsi comment Le JDN– mais également Le Plus, L'Express, Mediapart, Le Figaro, Les Echos et le Huffington Post – étaient victimes d'infiltrations de leurs espaces dédiés à des tribunes libres par des agences de communication. | Un billet de blog Mediapart sur l'OPA sur le groupe Club Med, soupçonné par le JDN d'être un faux |
Les méthodes de ces agences pour faire passer des articles favorables à leurs clients ? "Inventer un faux nom", "à la fois banal et singulier", "se présenter comme salarié d'une institution de renom", ou encore "créer un univers numérique pour donner de la crédibilité à la fausse identité" (compte Twitter, profil Linkedin ou Google Plus, ...). Autant de particularités rassemblées par le mystérieux "Marc Fortin".
Interrogée à l'époque par @si sur ces pratiques, la responsable du "Club" de Mediapart répondait : "Certains s'inventent des fausses identités, c'est d'une banalité confondante. Ensuite, nous ne contrôlons, ni ne faisons d'enquête sur nos abonnés qui bloguent comme ils l'entendent". Sauf que si la tromperie concernant l'OPA sur le Club Med est avérée, il ne s'agirait plus de la simple liberté des abonnés de bloguer sous une identité factice, mais bien d'une "méthode illicite pour influencer le cours d'une opération boursière en portant atteinte à l'image d'une partie prenante à l'OPA", rappelle le JDN.