Faisons la transparence sur l'opacité !
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesIl y a des opacités nécessaires, et des opacités stupides, voire néfastes.
Prenons la loi Renseignement, et plus particulièrement les fameuses "boîtes noires", qui permettront au Renseignement français de détecter les "comportements suspects". Jean-Marc Manach, dans notre émission 14h42, cuisine sur ce sujet le député PS Edouardo Rihan-Cypel, l'un des hommes présumés les mieux renseignés de France, puisqu'il est membre de la commission du Renseignement de l'Assemblée. Combien de ces "boîtes noires" seront-elles posées ? En d'autres termes, combien va coûter l'instrument sophistiqué censé scanner toute la botte de foin, pour y trouver l'aiguille ? Il faudrait 50 000 raccordements, nous dit un homme de l'art, Alexandre Archambault, ancien de chez Free, autre invité de Manach. Alors, combien va coûter tout ça, on n'en sait rien ! lance Manach. Et Rihan-Cypel a ce cri du coeur : "Heureusement, qu'on ne le sait pas !", (à 32'24'').
Ce qui se comprend. L'exigence de transparence absolue est évidemment antinomique avec l'action des services secrets. Et si l'on souhaite que s'exerce, sur cette action, un contrôle démocratique, il faut bien qu'il y ait quelque part des élus, qui sachent, et ne puissent pas dire. Ce qui n'empêche pas que les journalistes doivent, inlassablement, les questionner, ne serait-ce que pour identifier les détenteurs des informations secrètes à qui il devra être possible, un jour, de demander des comptes, au cas où. Savoir qui sait, c'est déjà savoir quelque chose, même si on ne sait pas ce qu'il sait.
Aussi frustrant soit-il, un dialogue transparent sur l'opacité permettra (peut-être) de dégonfler les fantasmes, comme ce fantasme de Big brother, claironné par la Une du Monde, que s'emploie aussi cette semaine à dégonfler Jean-Marc Manach, encore lui. Avec beaucoup moins d'impact, soit dit en passant, que cette Une trompeuse du Monde, dont l'écho s'est porté jusque sur le plateau de l'émission de François Hollande et de Maïtena Biraben, permettant au duo de se livrer à un vertigineux concours d'ignorance du sujet.
Voilà pour les opacités nécessaires. Mais il y a aussi des opacités stupides. Prenons un poste prestigieux : président de la télévision publique. Il intéresse tous les Français, qui paient la redevance. Quels programmes, quelle info, quelle place pour la pub, quelle stratégie numérique ? Cela justifierait amplement que toutes les auditions de tous les candidats soient télévisées, pour que chacun puisse se faire une idée. Mais non. Les petits seigneurs du CSA ont décidé qu'on ne connaitrait ni les candidats, ni leurs programmes. On annonce ce matin qu'est arrivée en tête des votes une candidate venue d'Orange, qui n'a aucune compétence particulière en matière de télévision. Quelle télé regarde-t-elle, quelle télé souhaite-t-elle ? Nul n'en a aucune idée, les petits seigneurs eux-mêmes ayant réussi le prodige d'être encore plus opaques que la DGSE. A ce tarif-là, autant laisser l'Elysée choisir, ce sera plus clair.