Exportons nos sondages au Brésil !

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

La prévision est un art difficile.

"Les jeux sont faits", écrivait le correspondant à Rio du Monde à la fin de la semaine dernière, à propos de la présidentielle brésilienne. "Sauf accident, Mme Dilma Rousseff, 62 ans, la dauphine du président Luiz Inacio Lula da Silva, deviendra, le 1er janvier 2011, le 40e chef de l'Etat du Brésil". Le Monde concédait : "une seule grande inconnue demeure : sera-t-elle élue dès ce dimanche, ou devra-t-elle attendre le 31 octobre, date d'un éventuel second tour ?". Mais c'était pour rassurer aussitôt : "le premier scénario est le plus probable". Les motifs de cette certitude ? Les mêmes, que l'on lisait partout, dans le concert qui annonçait la probable victoire de "Dilma" au premier tour : popularité de Lula, prospérité et félicité générales, etc.

Mais le principal motif de la certitude du Monde, c'étaient les sondages. Les sondages, qui donnaient comme un seul homme la dauphine élue au premier tour. Il y avait bien quelques ombres. Une méchante "affaire de trafic d'influence", expliquait Le Monde sans plus de détails, touchant sa successeure au poste de chef de cabinet de Lula (pour avoir davantage de détails, il fallait lire par exempleL'Express). Mais la candidate, toujours "selon les sondages" n'en était pas affectée. Quant à la candidate écologiste Marina Silva, qui a finalement récolté six points de plus que les promesses des sondages, il n'en était même pas question dans l'article. Elle était largement sous le radar du correspondant du Monde. Comme quoi les effets de microcosme, syndrôme bien connu affectant les journalistes politiques dans leur propre pays, peuvent aveugler aussi les correspondants étrangers.

Ce matin, sur France Inter, après la (relative) gamelle de la candidate, qui n'a obtenu que 46,9 % des suffrages, c'était le contraire. Corruption, incohérences, caractère artificiel de la candidature : toutes les explications étaient appelées à la rescousse pour expliquer l'acharnement des électeurs brésiliens à démentir les certitudes sondagières. Ainsi, même à l'étranger, le métier de journaliste tend de plus en plus à se confondre avec celui d'illustrateur. Illustrateur de résultats électoraux, dans le moins pire des cas, et illustrateur de sondages le plus souvent. Dans l'intérêt de l'avenir de cette profession, il faudrait aider la production sondagière brésilienne. Preuve étant faite de son peu de fiabilité, on pourrait leur exporter les nôtres, qui sont d'une solidité à toute épreuve, comme chacun sait. Ils auraient peut-être davantage de succès que les Rafale.

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