"Et là, je me bourrerai" : réflexions sur une confidence
Daniel Schneidermann - - 0 commentaires"Et là je me bourrerai".
C'est Sarkozy qui parle. La conversation est relatée par l'ancien directeur du Monde, Eric Fottorino, qui vient de rédiger ses mémoires de directeur, sous le titre "Mon tour du Monde" (Gallimard). Sud-Ouest en publie les bonnes feuilles. Fottorino raconte donc un déjeuner avec Sarkozy, situé en 2008. A l'époque, dit Fottorino, Sarkozy semble ne pas souhaiter se représenter en 2012. "Mon prochain statut sera ancien président, et celui-là durera très longtemps. Alors je ferai comme Bill (comprendre : Clinton) ou comme Tony (comprendre : Blair) : je ferai des conférences et là, je me bourrerai !" Pour ceux qui n'auraient pas compris: il se bourrera de fric, de pognon.
On peut évidemment regretter qu'une confidence si révélatrice ne fuite qu'en 2012, après quatre ans. Il est dommage que Fottorino, comme tant de ses confrères plus ou moins "embedded", ait gardé pour lui des confidences si révélatrices sur la psychologie de ce haut personnage. Imaginons (c'est la fin de semaine, on peut rêver) Fottorino rentrant au journal après le déjeuner, et publiant le lendemain le verbatim de la conversation. Que serait-il arrivé ? Certes, il aurait dû affronter une certaine bouderie, un courroux perceptible, peut-être même une légère irritation, de la part du futur bourré, et de son entourage. Peut-être, pour un temps non déterminé, aurait-il été exclu de ces délicieux et si enrichissants déjeuners. Peut-être même le pote de Tony et de Bill aurait-il tenté d'orchestrer contre le journal quelques représailles sonnantes et trébuchantes. Mais les ventes du journal auraient doublé. Sa crédibilité instantanément retrouvée lui aurait permis de renouer avec de faramineux profits, du haut desquels il eût pu se gausser des représailles élyséennes. Peut-être même, subjuguée par l'exemple, emportée par la dynamique, la presse tout entière...Peut-être peut-être peut-être. En tout état de cause, le soleil se serait tout de même levé le lendemain matin.
Vous m'objecterez, bande de rabat-joie, que je rêve tout haut, et que rien de tout cela n'est certain. C'est vrai. Mais si j'osais (allez, courage, c'est la fin de semaine) un parallèle audacieux, je dirais qu'il en va de cette affaire comme de la potion de la rigueur Merkozy, infligée à l'Europe. On n'est pas sûr qu'une solution alternative (croissance, relance, protectionnisme, etc) fonctionne vraiment. Mais on est sûr d'une chose: en matière de relations entre presse et pouvoirs, le système actuel ne fonctionne pas. Alors, pourquoi ne pas essayer autre chose ?