Erythrée : de l'indépendance aux emprisonnements de journalistes (Libé)

Justine Brabant - - Silences & censures - 0 commentaires

"La presse libre n'a duré que deux ans". L'ancien journaliste de Libération Jean-Louis Peninou revient sur le "basculement dans la dictature" de l'Erythrée, ce pays mal connu des médias français, auquel @si consacrait une émission il y a un mois. Le reporter, qui y a effectué des reportages de 1975 à 1995, raconte notamment le durcissement progressif du régime vis-à-vis des opposants, politiques et journalistes.

L'interview de Jean-Louis Peninou dans Libération du 9 juillet 2015

Les années 1970, cette décennie où un reporter pouvait se retrouver du jour au lendemain dans le maquis d'une guerilla africaine, aux côtés de combattants indépendantistes... Pour l'ex- journaliste de Libération Jean-Louis Peninou, cela a commencé sur les bords de la mer rouge, en 1975 : "Dans le cadre d’un voyage au Soudan, je rencontre à Port-Soudan, sur la mer Rouge, des réfugiés érythréens, militants du Front de libération nationale, qui m’ont proposé de m’emmener dans leur maquis, où j’ai passé dix jours", se souvient Peninou dans un entretien paru aujourd'hui dans Libération.

Evacuation de camps de migrants

Ce séjour lui permet de nouer des contacts au sein du mouvement armé, et notamment de faire la connaissance de celui qui deviendra le président du futur Etat indépendant, Issayas Afeworki. Jeune Etat né d'une lutte contre l'Ethiopie dans les années 1970, l'Erythrée est plus connue aujourd'hui pour son régime répressif et sa société militarisée, que fuient chaque mois des milliers d'Erythréens. En France, les rapports réguliers de Reporters sans frontières et, plus récemment, les évacuations (qui se poursuivent) de camps de migrants dans le nord de Paris ont conduit les médias à s'intéresser d'un peu plus près à la situation du pays.

Peninou revient dans l'entretien sur cette évolution : "Le pays a vécu dans cette euphorie de l’indépendance jusqu’en 1996 au moins. En 1998, ça se gâte avec la guerre contre l’Ethiopie, née d’un conflit frontalier. En 2001, le régime change de nature quand Afewerki jette en prison les opposants et les journalistes indépendants. C’est à cette époque que j’ai cessé de m’y rendre, après de nombreux séjours sur place, pour Libération puis comme expert mandaté par l’ONU. (...) C’est aussi en 2002 que j’ai vu pour la dernière fois Issayas Afewerki. Ce fut bref et froid. Je lui ai demandé des nouvelles de mes amis, journalistes ou non, qu’il avait jetés en prison, il ne m’a pas répondu."

"Dans un esprit routard"

Aspect plus anecdotique : au-delà de l'Erythrée, l'interview offre également un regard de l'intérieur sur ce qu'était Libé il y a quarante ans– un titre à la réputation internationale parfois fabriqué avec les moyens du bord. "Dans les années 70, Libération s’intéressait à tous les peuples en lutte, rappelle Peninou. En 1975, dans le cadre d’un voyage au Soudan, je rencontre à Port-Soudan, sur la mer Rouge, des réfugiés érythréens, militants du Front de libération nationale, qui m’ont proposé de m’emmener dans leur maquis, où j’ai passé dix jours. J’ai été bien accueilli, Libération avait un prestige international sans rapport avec ses ventes modestes. On travaillait souvent dans un esprit routard, le journal était fauché, et il n’était pas rare que des journalistes payent eux-mêmes leurs frais de déplacement."

L'occasion de (re)voir notre émission sur l'Erythrée avec le chercheur Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer et les journalistes (Prix Albert Londres 2015) Cécile Allegra et Delphine Deloget : "Erythrée : je n'avais pas mesuré l'ampleur de ce qui se passe".

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