Egypte : censure du livre d'une journaliste de Radio France

Justine Brabant - - 0 commentaires

Les Egyptiens ne pourront pas lire L'Egypte de Tahrir. Le livre de l'ancienne correspondante de Radio France en Egypte Claude Guibal (co-signé avec le journaliste de Reuters Tangi Salaün) a été retiré des rayons, rapporte Ahram Online. En cause : une phrase de la préface interprétée comme une critique de l'armée... à moins qu'il ne s'agisse de la présence en quatrième de couverture d'un écrivain volontiers critique du régime.

Claude Guibal et Tangi Salaün avaient pour ambition de faire "l'anatomie d'une révolution". Dans L'Egypte de Tahrir (Seuil, 2011), les deux journalistes reviennent sur les dix-huit jours de mobilisation qui, début 2011, ont conduit à la démission d'Hosni Moubarak, et sur les questions qui se posent désormais à une Egypte entrée dans une nouvelle ère politique. Mais les Egyptiens n'auront pas l'occasion de se confronter à cette analyse de leur histoire récente : le livre, traduit en arabe par le Centre national de traduction (le CNT, dépendant du ministère de la Culture égyptien) et vendu en Egypte depuis quelques mois, a été retiré des rayons sur demande du même ministère de la Culture, détaille Ahram Online – déclinaison numérique d'Al-Ahram, l'un des plus importants quotidiens égyptiens.

Le motif de ce retrait ? Ahram Online évoque deux hypothèses. La première : une phrase figurant dans la préface du traducteur. Celle-ci, rédigée en 2012, "contenait un passage qui faisait référence aux affrontements entre l'armée et des militants en février 2011, à propos desquels l'armée elle-même a présenté ses excuses dans un communiqué officiel", précise le site. Passée inaperçue à la sortie du livre, la phrase en question a été ressortie récemment par des medias égyptiens, qui y ont vu une attaque contre l'armée : "Le semaine passée, le site Al-Bawaba News a écrit un article au vitriol sur le livre, disant que le ministère de la culture et le CNT publiaient des ouvrages qui insultaient l'armée, détaille encore Ahram Online. Le présentateur TV Ahmed Moussa a repris cette histoire à son compte et a attaqué le CNT lors de son émission, l'accusant à son tour de publier des livres attaquant l'armée, et pointant la phrase de la préface du traducteur". Ahmed Moussa, qui présente des late-shows sur la chaîne privée Sada Elbalad, est connu pour ses vives critiques de la révolution de 2011, révolution qu'il considère être une "conspiration" contre le peuple égyptien.

Le présentateur égyptien Ahmed Moussa

Que disait exactement cette phrase ? Jointe par @si, Claude Guibal elle-même... l'ignore, qui n'a plus entendu parler du livre depuis qu'elle en a vendu les droits en 2012.

Le traducteur, coupable d'avoir critiqué l'armée ? Interrogé par Ahram Hebdo, le principal intéressé s'en défend, et avance une seconde hypothèse au retrait du livre de Guibal : la présence au dos du livre d'un nom qui aurait pu irriter les autorités égyptiennes, celui du célèbre écrivain Alaa al-Aswany. Le nom de l'auteur de L'immeuble Yacoubian figure en effet en quatrième de couverture, sous quelques phrases où il salue le travail des deux journalistes. Or, al-Aswany est une "importante voix d'opposition au gouvernement actuel et aux Frères Musulmans", rappelle Ahram Online.

Si la journaliste de Radio France en sait encore peu sur les péripéties connues par son ouvrage, elle n'est pas franchement surprise pour autant : "Il faut replacer tout cela dans le contexte actuel d'ultranationalisme. Beaucoup d'Egyptiens ont eu tellement peur à l'époque de Morsi que l'arrivée d'al-Sissi a été vécue comme rassurante. Il a su se rendre extrêmement populaire, il est celui qui a ramené le calme. Dans ce contexte, tout ce qui apparaît critique de l'armée est mal vu, et il est plutôt de bon ton de taper sur des journalistes étrangers."

Lire sur arretsurimages.net.