Du nivellement des scandales

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

n'est pas content. Dans son numéro d'aujourd'hui

Le Canard, le volatile reproche à mots couverts à Mediapart d'avoir "jeté en pâture" le nom de Gilles Carrez, président de la commission des finances de l'Assemblée, parmi les quelque 60 parlementaires "en délicatesse avec le fisc". Motif : les discussions entre Carrez et le fisc n'ont pas encore abouti. Etrange cancanement : c'est pourtant le volatile lui-même qui, dans son numéro précédent, dévoilait ce chiffre : 60 parlementaires. Les discussions, alors, n'avaient pas davantage abouti. Certes, Le Canard ne donnait pas les noms. Mais même sans les noms, l'info était tout aussi susceptible d'entretenir "l'antiparlementarisme".

Dans l'enquête de Mediapart, le point de vue du contribuable Carrez était exposé en détail. A chaque lecteur de se faire son opinion sur sa bonne ou sa mauvaise foi. A quel moment, d'ailleurs, la publication des noms des parlementaires aurait-elle été conforme à la déontologie du Canard ? A la fin des discussions entre le fisc et les parlementaires ? Et alors, dans quel cas exactement ? Si le fisc donnait raison aux parlementaires ? Dans le cas contraire ? Les deux ? Aucun ? Depuis l'affaire Cahuzac, les parlementaires vivent dans un nouvel écosystème, plus transparent, même s'il est loin de l'être totalement. C'est évidemment moins confortable pour eux. Mais Le Canard préférait-il l'ancienne mare ?

Plus pertinente, s'il faut trier entre les sujets d'attention et d'indignation, est, à mes yeux, l'importance respective accordée par le tam-tam médiatique à ces différents scandales. Dans le même numéro, l'hebdo satirique révèle que les travaux de l'appartement de fonction du secrétaire général de la CGT Thierry Lepaon auraient coûté 130 000 euros -et encore, la CGT a renoncé au home cinéma et à la cave à vins. En réponse, la CGT fait valoir que c'est la première fois que son scerétaire général n'est pas parisien, et qu'il a bien fallu le loger. Dans les journaux radio du matin, l'affaire recueille autant de place que la réunion de Berlin, au cours de laquelle va être finalisé l'accord sur un échange d'informations entre 46 Etats et territoires sur la fraude fiscale. Enjeu de la récupération de l'évasion fiscale : des milliards d'euros, soit de quoi rénover les appartements de quelques milliers de secrétaires généraux de la CGT (avec home cinéma et cave à vins).

Autre exemple, ce lancinant débat sur les fraudes à Pôle Emploi (l'affaire dite "des chômeurs qui ne cherchent pas vraiment de travail") feuilleton récurrent des medias. On rappelait ici que le montant de ces "fraudes à Pôle Emploi" ne porte que sur 1% du montant des fraudes en France, la masse la plus importante étant celle de la fraude fiscale. A longueur de semaines, le tam-tam nivelle ainsi des scandales dont les montants n'ont aucune commune mesure. Certes, en fonction de son auteur, de ses circonstances, de son degré d'impunité, un petit détournement peut être plus scandaleux qu'un gros. Mais il est utile d'avoir toujours les montants en tête.

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