Drahi, la com et les dividendes (L'Hebdo)

Vincent Coquaz - - 0 commentaires

Moins de (hauts) salaires, plus de dividendes et beaucoup de com'.

On en apprend un peu plus sur la "stratégie Drahi", qui consiste à financer par la dette des rachats de sociétés toujours plus importants, dans un portrait du magazine suisse L’Hebdo. Titré L’homme qui valait moins 48 milliards (soit le poids total de la dette d’Altice, holding de Drahi, qui a grimpé de 23 milliards entre 2014 et 2015), l’article compare l’homme d’affaires franco-israélien à Rupert Murdoch, qui "avait bâti son empire médiatique sur une frénésie d’acquisitions à crédit à la fin des années 80" et qui "avait bien failli y laisser sa chemise". Si l’on connaissait déjà son appétit pour les médias (L’Express, Libération, BFM ou i24news entre autres), on découvre ici le volet communication de Patrick Drahi.

Une com' qui passe d'abord par l'image que Drahi se donne lors de ses (rares) prises de parole publiques. "Chez nous, personne ne gagne plus de 200 000 euros par an. Je n’aime pas payer des salaires. J’en verse le moins possible", a-t-il ainsi lancé à une conférence organisée par Goldman Sachs, peu après le rachat du cablopérateur Cablevision, pour 17,7 milliards de dollars. "Frissons dans l’assistance. Venant d’un Français, la sortie sera reprise dans le New York Post du lendemain. Patrick Drahi ne tirait pas au hasard. L’attaque visait les frères James, Patrick et Thomas Dolan [qui] dirigeaient l’opérateur Cablevision [et] s’étaient largement goinfré de bonus […] Avec Drahi aux commandes, c’était la fin de la partie pour les Dolan, qui avaient mis quarante ans à bâtir leur petit empire du câble." Une pique isolée ? Au contraire, estime L’Hebdo. "Cette détestation affichée des gros salaires et bonus indus, qui plombent les comptes des entreprises, revient en boucle dans la bouche de Patrick Drahi. L’argument fait partie d’une stratégie de communication bien rodée."

L'image de cadres "qui réservent eux-mêmes leurs vols easyjet"

Pour "préparer" le rachat de SFR, Drahi a en effet fait appel au cabinet de communication Havas Worldwide, la société de conseil de Stéphane Fouks (bien connu des @sinautes, notamment pour son rôle dans l'affaire Cahuzac). Dès lors, les journalistes peuvent approcher, au compte-goutte, le milliardaire (à crédit). "Les articles qui suivirent décrivaient les managers d’Altice, basés à Genève, comme une petite équipe de jeunes et brillants esprits venant au travail en jean, sans secrétaire, réservant eux-mêmes leurs vols sur easyJet […] Le seul luxe des lieux est une machine Nespresso et un minifoot «que personne n’a le temps d’utiliser»." De quoi rassurer les banques sur la capacité de Drahi à couper les coûts dans les sociétés acquises. A l'inverse, les articles ne mentionnent jamais "les deux somptueuses demeures de Patrick Drahi à Cologny ni celles de son CEO, Dexter Goei, et de son secrétaire général, Jérémie Bonnin, à Vésenaz […] Tant de faste aurait tranché avec l’image de rigueur capitaliste monacale des dirigeants d’Altice, dédiés corps et âme à l’œuvre de perfection du marché."

Mais cette stratégie ne se limite pas à un effet de com : à son arrivée à la tête de SFR, Drahi laisse partir 200 cadres "gagnant plus de 150 000 euros". Surtout, arrive ensuite "la deuxième partie de la méthode Drahi. Et, à côté, le licenciement de centaines de cadres n’est qu’une modeste mise en bouche. Les premiers à en pâtir sont les sous-traitants. Patrick Drahi commence par cesser de les payer, tout simplement. Il rappelle ensuite ceux de son choix, et leur donne son prix." Pas un hasard, donc, si le Ministère des Finances considère Numericable-SFR comme le plus "mauvais payeur" du pays.

Pourquoi ? Pour "extraire du cash" afin de "verser des dividendes et financer les prochaines acquisitions". Car Drahi oublie sciemment de mentionner une chose dans ses grands discours contre les hauts salaires : les dividendes. L’Hebdo rappelle effectivement que "mi-octobre, Numericable-SFR a annoncé qu’il allait s’endetter pour aider sa nouvelle maison mère, Altice, à verser un dividende de 2,5 milliards d’euros". On l'aura deviné, le principal bénéficiaire est l'actionnaire majoritaire, Patrick Drahi. On comprend mieux pourquoi le milliardaire "n’aime pas payer des salaires".

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