D'où vient le graphique de Véran sur le coronavirus?

Juliette Gramaglia - - 22 commentaires

Un stylo, une feuille et un ministre... Sur BFMTV, le ministre de la Santé Olivier Véran a dessiné un graphique expliquant pourquoi il fallait retarder l'arrivée de l'épidémie : pour éviter de saturer les hôpitaux français. Mais Véran se trompe de source. Et on se demande s'il n'aurait pas été inspiré par un chercheur suisse qui a effectué le même geste à la télé.

Et soudain, Olivier Véran se mue en pédagogue. Stylo en main, page blanche, le nouveau ministre de la Santé dégaine sur BFMTV un graphique pour "expliquer [sa] stratégie" visant à "freiner la propagation du coronavirus". On le voit alors tracer deux échelles : celle du temps et celle du nombre de malades. Il dessine ensuite la courbe de l'épidémie, qui monte haut et rapidement avant de redescendre tout aussi rapidement. Il trace ensuite une ligne, qui correspond au "niveau acceptable" de capacité d'accueil et de traitement du système sanitaire français. Le pic de l'épidémie dépasse cette ligne : "Dans un pic épidémique classique, on risque d'avoir trop de malades par rapport au nombre de malades que l'on peut accueillir". Le ministre explique alors la stratégie de "freinage" de l'épidémie : "Retarder le pic épidémique et faire en sorte de baisser le volume de malades qui va apparaître sur le territoire", pour rester sous le seuil de saturation. 

D'où vient cette courbe ? Dans son intervention, visiblement préparée, Véran renvoie à un article du Lancet, une revue scientifique médicale britannique. Un article publié le 28 février pose ainsi la question de la "faisabilité du contrôle des épidémies de Covid-19 en isolant les cas et les contacts". L'article se penche notamment sur les scénarios de transmission du virus. Et notamment sur la rapidité de transmission de l'épidémie en fonction de la réactivité avec laquelle on isole les malades une fois repérés.

Pour faire court, la partie rouge du graphique correspond à un "délai court" d'isolement des malades. Autrement dit : en isolant rapidement les malades, on peut plus rapidement mettre en place des mesures d'endiguement de la maladie par l'isolement, notamment. Si on s'oriente vers un "délai long", c'est-à-dire un repérage moins rapide et donc des isolements moins rapides, l'épidémie s'installe plus durablement dans le temps. Le graphique ressemble certes à celui que dessine Véran. Mais il ne dit pas (du tout) la même chose : la courbe rouge, présentée comme néfaste par Véran puisque risquant de sur-saturer les hôpitaux, est dans le Lancet présentée au contraire comme préférable, puisque correspondant à un repérage plus rapide des malades. Enfin, l'article du Lancet n'évoque absolument pas la question de la saturation des hôpitaux. Une erreur de référence de la part de Véran, donc. 

The Economist à l'origine du graphique viral

En réalité, pour comprendre d'où vient le graphique du ministre français, il faut plutôt se tourner vers The Economist

L'hebdomadaire publie le 29 février un article sur le monde qui "se prépare" à l'épidémie : "Le Covid-19 est dans 50 pays maintenant et les choses vont empirer", titre-t-il. En sous-titre : "Mais il y a des moyens confirmés pour limiter les dégâts". Et parmi ces moyens, l'hebdo évoque la nécessite de "flatten the curve" : "aplanir la courbe". L'hebdomadaire explique ainsi que les "politiques de santé publique" travaillent à "étaler les infections sur le temps" (en mettant en place des mesures de prévention contraignantes)Premièrement, parce qu'"il est plus facile pour les systèmes de santé de gérer la maladie si les gens infectés n'arrivent pas tous en même temps". Ensuite parce que "le nombre total d'infections au cours de l'épidémie peut en être réduit". En source de ce graphique, The Economist renvoie au Center for Disease Control and Prevention, le CDC, une instance fédérale américaine qui produit des recommandations pour la gestion du système de santé public et des politiques de santé publique.

A partir de là, le graphique vit sa vie, et se retrouve sous plusieurs formes, particulièrement sur Twitter. Un professeur d'université partage ainsi un graphique "adapté du CDC/The Economist".

La chaîne américaine ITV, par exemple, le diffuse dans une émission. 

Une troisième version circule également, toujours sur Twitter. Sans valeur fixe, le pic épidémique semble là beaucoup plus haut (et donc, plus inquiétant) :

De la Nouvelle-Zélande... à la suisse

En une dizaine de jours, le graphique a fait le tour de la planète : on le retrouve en Nouvelle-Zélande, dans un article du site The Spinoff, qui développe les trois phases d'une épidémie : la phase 1 ascendante, la phase 2 qui correspond au pic et la phase 3 descendante. La phase 1, explique l'article rédigé par une chercheuse en micro-biologie, est la phase durant laquelle les autorités sanitaires travaillent à l'endiguement. La phase 2 correspondant à la transmission de la maladie. Et ce sont pour ces deux phases qu'intervient à nouveau le graphique, qui a cette fois été animé. Il montre les deux situations : lorsque les gens n'obéissent pas aux mesures des autorités sanitaires (se laver les mains, ne pas se toucher le visage, rester chez soi quand on est malade...), l'épidémie atteint son pic plus rapidement, et dépasse les capacités des hôpitaux. En revanche, si chacun agit à son niveau, le pic de l'épidémie peut être décalé.

Le graphique débarque également chez nos voisins suisses. Ce 9 mars, un journaliste de la RTS (la radio-télévision publique) publie sur son compte Twitter une vidéo du docteur Didier Pittet, "créateur du gel hydroalcoolique", qui redessine le fameux graphique... sur une feuille blanche. Comme le fera, quelques heures plus tard, le ministre de la Santé sur le plateau de BFMTV.


Plagiat communicationnel ? Véran, en tout cas, a oublié un élément : le seuil de saturation des hôpitaux n'est pas une donnée absolue, tombée du ciel. Il dépend de la volonté politique, comme le suggère un twitto, que l'exercice n'a pas convaincu. 

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