Deuil parental : on a fact-checké les arguments LREM

Loris Guémart - - 52 commentaires

Le député Mounir Mahjoubi et le président du groupe parlementaire LREM Gilles Le Gendre ont tenté de justifier le rejet de la proposition de loi passant de 5 à 12 jours les congés en cas de perte d’un enfant mineur. Nous avons vérifié leurs assertions une par une.

En 2019, suite à la sollicitation d’une association de sa circonscription, qui regroupe des parents ayant connu le deuil de leur enfant, le député UDI Guy Bricout parvient à faire valider par son groupe parlementaire une proposition de loi. Elle tient en quelques mots : l’allongement pour les salariés du secteur privé de cinq à douze jours du congé pour deuil d’un enfant mineur, soit un jour de plus que le congé de paternité. Jeudi 30 janvier, sa proposition est cependant rejetée par la majorité. "C’est trop facile de s’acheter une générosité sur le dos des entreprises", lâche ce jour-là la représentante des députés LREM, Sereine Mauborgne, provoquant un tollé. Depuis, les députés de la majorité, critiqués par Emmanuel Macron comme par le MEDEF, ainsi que par la totalité des partis d’opposition, ont décidé d’une contre-offensive médiatique.

Mounir Mahjoubi en roue libre

1. Lundi 3 février, l’ex-secrétaire d’État et toujours député LREM Mounir Mahjoubi, sur le plateau de LCI, racontait ainsi sa version du parcours de la proposition de loi. "Il y a un groupe de députés LREM qui travaille à ce drame du veuvage (sic) précoce depuis plusieurs mois (…), ce qu’on travaille, ce n’est pas passer de 5 à 12 jours, mais de comment on passe à plusieurs semaines (…), comment on propose un amendement intelligent ? On le construit avec les associations de familles, ça prend du temps de faire une bonne loi."

Vrai ou faux ? Malgré l’assurance du groupe LREM à l’Assemblée, joint par Arrêt sur images, que des députés et en particulier Sereine Mauborgne travaillaient bien depuis plusieurs mois sur des dispositions en faveur des parents dont les enfants décèdent, il n’existe aucune occurrence publique de ce travail concernant l’allongement des congés en cas de décès (le travail du député UDI, dont la proposition de loi constitue la seule initiative législative récente en la matière, était, lui, observable depuis plusieurs semaines). Par ailleurs, deux de la quinzaine d’associations conviées pour un échange au ministère le 4 février, contactées par ASI, assurent n’avoir jamais eu la moindre sollicitation de députés LREM, ni avant la séance plénière du 30 janvier, ni depuis, même s’ils ont croisé à plusieurs reprises Mauborgne aux côtés de Bricout dans le cadre de sa proposition de loi.

2. "Par opportunité politique, M. Bricout et M. Ruffin (qui a soutenu la proposition de loi, ndlr) se sont dit qu’il fallait proposer tout de suite cette proposition de loi", expose-t-il avec assurance.

Vrai ou faux ? "Cette proposition de loi ne vient pas de moi mais de Mme Pascaline Meyer, présidente de l’association Sourire de Lucie (information confirmée à ASI par la principale intéressée, ndlr), dont la fille a été atteinte d’un cancer", se contente de rappeler le député Bricout, joint par ASI. "J’ai 76 ans, je n’ai pas d’avenir politique devant moi, et c’était une noble cause. C’est incroyable qu’il puisse dire ça…"

Gilles Le Gendre défend sa majorité

3. Mardi 4 février, le président du groupe parlementaire LREM, Gilles Le Gendre, a assuré lors d’une conférence de presse que ce texte avait été "travaillé en commission" et "avec le gouvernement" très en amont. Pas "d’erreur de vote", donc.

Vrai ou faux ? Selon les archives de l’Assemblée nationale, seul Guy Bricout a porté ce texte, une proposition de loi, à travers son propre groupe parlementaire d’opposition d’abord (afin qu’il soit sélectionné dans le cadre des niches législatives permettant à l’opposition de faire des propositions de loi). Il a ensuite défendu son projet en commission des affaires sociales le 22 janvier. Séance au cours de laquelle la députée Mauborgne, représentante du groupe LREM, a déployé les mêmes arguments qu’au cours de la séance plénière du 30 janvier, assurant d’emblée ne pas souhaiter "faire peser encore cette charge sur les entreprises".

Elle prône, plutôt que l’allongement de 5 à 12 jours du congé pour deuil d’un enfant, de permettre des "dons de congés et de RTT" entre les salariés, dispositif jusque-là réservé à d’autres situations. A aucun moment, lors de cette commission, elle n'expose ou même ne fait référence à un travail antérieur sur des congés, qu’ils soient payés par les entreprises ou par la Sécurité sociale. Par contre, il semble bien qu’au dernier moment, et malgré les alertes de Guy Bricout qui assure avoir dit au cabinet de Muriel Pénicaud "vous faites une grosse erreur", le gouvernement semblait effectivement déterminé à ne pas permettre le passage de cette proposition. Le député UDI rappelle d’ailleurs que 10 cosignataires de sa proposition étaient des députés LREM, mais que 8 se sont désistés peu avant les votes.

4. "Ce texte était incomplet, imparfait, et nécessitait forcément d’être amendé", poursuit Le Gendre devant les caméras.

Vrai ou faux ? C’est un peu plus compliqué. "Ils disent que ce n’était pas assez préparé en coulisses, mais une proposition de loi peut être amendée dans le bon sens, et toutes les associations disent que la proposition leur convient !", rétorque le député Bricout. Deux d’entre elles, Sourires de Lucie et Jonathan Pierres Vivantes, confirment leur satisfaction d’avoir vu ce parlementaire, le seul, faire suite à leurs demandes. "Un député ne peut pas proposer une dépense nouvelle sauf à trouver des recettes nouvelles, donc je ne pouvais pas dire que la Sécu allait le prendre en charge… mais le gouvernement, lui, le pouvait", rappelle-t-il.

Le groupe LREM, qui tient manifestement à ne pas faire payer par les entreprises cet allongement du congé pour deuil, malgré l’approbation du Medef, rappelle de son côté qu’un financement par la Sécurité sociale aurait dû attendre la loi annuelle déterminant ses dépenses. "Le point qui, pour nos députés, posait problème, est que ça ne concernait que les salariés du privé, ce qui exclut tous les indépendants et les fonctionnaires", expose aussi le groupe parlementaire à ASI. Il n’a cependant pas fait de proposition pour étendre la disposition aux fonctionnaires, ni en commission ni en séance plénière.

5. Gilles Le Gendre a aussi affirmé qu’il n’avait pas compris "qu’on ne retiendrait de ce texte que la question des jours de congés".

Vrai ou faux ?  La mauvaise foi de Gilles Le Gendre est manifeste. Le projet de loi de Guy Bricout présenté le 22 janvier ne contenait qu'une seule disposition : celle portant sur les jours de congé ! Il est donc normal que c'est ce point qui ait été retenu.... ce jour-là en commission, deux amendements sont déposés par le Modem, allié de LREM à l’Assemblée, portant notamment sur le don de RTT. Ils sont votés, remplaçant aussitôt dans la proposition de loi l’article initial. Il ne reste plus rien du texte de Bricout. "Le 30 janvier, je suis arrivé dans l’hémicycle pour défendre une proposition de loi qui n’était plus la mienne. Alors, j’ai fait un amendement pour dire que je contestais la proposition de loi dans sa nouvelle rédaction", témoigne Bricout. Que Gilles Le Gendre ait pu imaginer que Guy Bricout allait laisser voter une loi sans rapport avec sa proposition initiale est une autre question…

Sur France Inter, Thomas Legrand endosse l'argumentation LREM

Mercredi 5 février, l’argumentaire des députés LREM se retrouve avec une étonnante précision dans l’éditorial de Thomas Legrand sur France Inter, consacré aux accusations d’inhumanité fusant de toutes parts, président de la République compris. Les principaux éléments de langage évoqués dans l'article ci-dessus y figurent, sans distance. "Dans l’état actuel des choses, cet allongement est déjà pratiqué – de fait – par le biais d’arrêts maladie", avance-t-il ainsi. Il fallait par ailleurs "une solution juridique plus sûre", et les députés LREM "se sont montrés, en réalités, professionnels sur le plan juridique, mais parfaitement amateurs sur le plan politique". Bref : ils avaient raison mais n’ont pas su l’expliquer… ce qui semble assez éloigné des faits, même si c’est bien le message porté unanimement par les députés dé la majorité depuis quelques jours. Sollicité par ASI, Legrand n'a pas souhaité s'exprimer.


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