Désarmement ETA : coup de filet ou grosse bourde ?

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

Imbroglio : c’est le mot repris par la presse qui tente de comprendre l’opération policière franco-espagnole du vendredi 16 décembre présentée par le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux comme un coup porté à ETA – l’organisation séparatiste basque – alors que les personnes arrêtées à Louhossoa, village près de Bayonne, toujours en garde à vue, se sont engagées justement au désarmement du groupe terroriste qui, depuis cinq ans, a renoncé à la violence. Parmi les interpellés : Txetx Etcheverry, fondateur de l’association Bizi et du mouvement Alternatiba que nous avions reçu sur notre plateau.

Coup de filet antiterroriste ou grosse bourde ? La presse se perd en conjectures depuis la diffusion samedi 17 décembre d’un communiqué signé Bruno Le Roux qui annonce "un nouveau coup dur porté à l’ETA", l’organisation séparatiste basque. Le ministre de l’Intérieur relate une opération policière menée la veille qui a "donné lieu à une importante saisie d’armes, d’explosifs et de munitions" et qui a conduit à "l’interpellation de cinq individus en relation avec l’organisation terroriste ETA". Il se félicite également de "l’excellente coopération" avec les autorités espagnoles. En effet, l’opération policière a été menée conjointement par la France et l'Espagne.

Petit hic : parmi les cinq interpellés à Louhossoa, village près de Bayonne, se trouvent des personnalités non liées à l’ETA. Et notamment Txetx Etcheverry, fondateur de l’association Bizi et du mouvement Alternatiba que nous avions reçu sur notre plateau peu avant la COP 21. Selon Mediapart, sont également en garde à vue "Michel Berhocoirigoin, premier président de la Chambre d’agriculture du Pays basque et ancien cadre de la Confédération paysanne. Il était accompagné de Michel Bergougnan, coopérateur viticole dans l’appellation basque Irouléguy. Ainsi que de Béatrice Molle-Haran, journaliste expérimentée (propriétaire de la maison où a eu lieu la perquisition), et Stéphane Etchegaray, vidéaste".

A en croire Libération, les interpellés "pourraient être transférés dimanche ou lundi à Paris, où le parquet anti-terroriste a ouvert une enquête préliminaire avec les qualifications d’association de malfaiteurs terroriste et infractions sur la législation sur les armes et les explosifs en bande organisée, le tout en relation avec une entreprise terroriste, selon des sources proches du dossier. Les gardes à vue peuvent durer 96 heures". Autre fausse note de cette opération : dans un premier temps, le président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et avocat Michel Tubiana est cité parmi les interpellés. Mais s’il avait bien prévu d’être de la partie ce soir-là, il a finalement renoncé à ce rassemblement.

"Contribuer à un avenir sans violence et démocratique pour le Pays Basque"

Quel était l’objectif de cette réunion ? "Détruire des armes" d’ETA et "les remettre aux autorités" confie Tubiana à l'AFP. Interrogé par Mediapart, l’avocat développe : "je n’ai pas pu m’y rendre mais cela prouve bien que les policiers savaient tout de l’opération. Ils n’ignoraient donc pas que ce qui était derrière [cette réunion], c’était notre volonté d’enclencher de manière symbolique le processus de désarmement de l’ETA". Pour appuyer cette version, les sites de presse renvoient vers une lettre datée du 25 octobre et publiée vendredi soir sur le site Mediabask. Dans ce courrier, résumé par Libé, "Michel Tubiana, Txetx et Michel Berhocoirigoin affirmaient avoir décidé de «procéder à la destruction d’un premier stock d’armes» afin de «contribuer à un avenir sans violence et démocratique pour le Pays Basque»".

Pour mémoire, rappelle une dépêche AFP reprise notamment sur le site du Point, "l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, Pays Basque et Liberté), née en 1959 dans la lutte contre la dictature franquiste, a commis des attentats ayant causé la mort de 829 personnes, selon les autorités espagnoles et françaises". L’organisation séparatiste basque a renoncé à la violence en 2011. De fait, résume Mediapart, l’ETA "n’a plus commis le moindre attentat et a démantelé ses structures opérationnelles". En revanche, poursuit le site, "les gouvernements français et espagnol [qui devaient] consentir à l'ouverture d'un dialogue traitant exclusivement des conséquences du conflit, fait l’objet de blocage depuis cinq longues années. Les observateurs y voient notamment la main de Madrid, qui refuse entre autres de s’engager dans une politique carcérale plus souple pour les prisonniers de l’ETA". Près de 400 membres de l’organisation sont toujours détenus.

Résumons : d’un côté le ministre de l’Intérieur se réjouit d’un coup de filet et martèle que "personne n’a le droit de se proclamer destructeur d’armes et éventuellement de preuves". De l’autre des militants indépendants de l’ETA assurent que cette remise d’armes visait justement à faire avancer le blocage. Ces derniers ont d'ailleurs reçu de très nombreux soutiens politiques, de droite comme de gauche. D’où l’imbroglio dont se font écho les journaux… y compris télévisés et notamment celui de France 2 ce dimanche midi qui évoque de son côté une "confusion".

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