Déni-sot
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesD'emblée, Yann Barthès prévient son invité Michel Denisot :
"je ne peux pas vous encadrer". Et c'est sans doute vrai. Au nom de quoi serait-on obligé de s'aimer, dans le monde merveilleux de Canal+ ? Mais Denisot publie ses mémoires : logique d'entreprise oblige, Le petit journal est donc bien obligé de faire la promo de l'ex-majordome du Grand journal. Et voici donc, mélangés pour vingt minutes, l'huile et le vinaigre du canalisme, voici une "spéciale Denisot" dans Le petit journal.
Avec une trouvaille géniale : pour en souligner perfidement la nullité, Barthès balance à Denisot un montage de ses propres questions. Dont, par exemple, celle-ci : "qui aimez-vous, qui n'aimez-vous pas ?" Et voilà Denisot pris dans le vertige de la stupidité de sa question. Mais impossible de dénoncer cette stupidité, puisque c'est sa propre question. Qui je n'aime pas ? Mais Denisot, par définition, aime tout le monde, comme Drucker. Sauf à l'égard de ceux qui ont commis le sacrilège d'égratigner des stars de la télé, ou de quelques ludions inoffensifs comme Dupont-Aignan -et encore, seulement parce qu'il l'avait interpellé sur son salaire-, la détestation n'est pas dans son logiciel. Par définition, tout objet non susceptible de promotion est immédiatement invisibilisé. Adoubé ou invisible, telle est la seule alternative du système Denisot. Après quelques secondes interminables, parvient donc une timide réponse : "Hitler ?"
Dans le catalogue, que je dressais hier, des joutes verbales successives de Zemmour sur le plateau de Ruquier, j'avais omis celle qui l'avait opposé à Denisot, également présent. Classiquement, Zemmour chargeait Denisot de tous les péchés de Canal+, chaîne des bobos, des Roms, des gays, et des sans-papiers. Et Denisot, dans le déni : mais enfin, on ne l'a pas fait exprès ! On ne s'est pas réunis un jour en décidant qu'on allait faire la chaînes des bobos ! Les dénis monosyllabiques de Denisot sont la plus éloquente parole du système, quand il est interrogé sur le sujet dont il parle le plus volontiers, et dont il ne parvient jamais à parler : lui-même. Les pressions conjuguées de la chasse à l'audience, des annonceurs, du modèle économique (foot et ciné), sont si bien intégrées qu'elles sont devenues invisibles.