Daech : témoignages sur l'esclavage sexuel (NYT)
La rédaction - - 0 commentairesFaire du viol une preuve de dévotion religieuse. Le dessein de l’organisation Etat Islamique n’est pas une simple lubie explique Rukmini Callimachi, auteure d’une enquête détaillée pour le New York Times. L'EI a codifié, institutionnalisé la réduction en esclavage sexuel d’une minorité religieuse bien précise, les yazidis. Un moyen, selon le New York Times, de régner par la terreur, d’asseoir sa théologie radicale et de recruter davantage de combattants musulmans.
Capture New York Times, 13/08/2015
"Juste avant de violer la jeune fille âgée de 12 ans, ce combattant de l’Etat Islamique (…), s’agenouilla à côté du lit et se prosterna pour la prière, avant de se mettre sur elle." Les premières lignes de l'enquête du New York Times parue jeudi 13 août, traduite en français par la Radio Télévision belge francophone (RTBF), donnent le ton. Accumulant les témoignages, cet article décrit comment l’organisation Etat Islamique a organisé et systématisé l’esclavage sexuel de femmes yazidies, une minorité religieuse résidant au nord-ouest de l’Irak.
Les récits d'atrocités ne sont pas nouveaux (@si en parlait déjà en novembre 2014). Dans un rapport daté de décembre 2014, Amnesty International concluait déjà que l’organisation avait instauré un véritable marché de traite sexuelle. Mais l’enquête publiée par Rukmini Callimachi pour le New York Times décrit précisément les conditions de ce marché, à la lumière de 21 entretiens de femmes et de jeunes filles yazidies ayant réussi à fuir. Kidnappées, recensées comme des marchandises, confinées dans divers lieux conquis par l’organisation, interrogées sur leur intimité, puis vendues et violées au nom d’une interprétation restrictive du Coran, elles seraient 5270 femmes à avoir été enlevées et 3144 à être encore captives actuellement.
Comme le note l'auteure de l'enquête sur Twitter, "le viol est utilisé comme arme de guerre depuis des temps immémoriaux. Ce qui rend Daech différent, c'est la façon dont ils l'ont codifié et rendu public". Il y a un mois en effet, l'Etat Islamique annonçait avoir relancé "l’esclavage comme institution" et établissait les grandes lignes de cette nouvelle pratique, raconte Callimachi. Parmi les règles déterminées : la "sabaya" (esclave) est un bien du combattant et peut être léguée si celui-ci meurt.
Rukmini Callimachi tweet son article en soulignant ses points importants
Comment l'EI justifie-t-il cette pratique ? Par la religion. "A chaque fois qu’il venait me violer, il priait", raconte F. (15 ans) enlevée il y a un an et désormais à l’abri. Dans le récit mis en place par l’organisation, violer les "kafirah" (comprenez les infidèles ou ceux qui ne sont pas de confession musulmane) fait plaisir à Dieu. Autrement dit, ce serait une preuve de dévotion. Pourquoi les yazidis en particulier ? Selon Matthew Barber, expert de l’université de Chicago sur cette minorité religieuse, ces derniers sont vus comme des polythéistes, ce qui "les met au même niveau que les non-croyants". Preuve par l’exemple : "Parce que vous croyez au diable, vous nous appartenez. Nous pouvons vous vendre et vous utiliser comme bon nous semble", s’entend dire, dans l'article du Times, une certaine "F." en arrivant sur le lieu où elle doit être vendue. La traite sexuelle pratiquée par l’organisation Etat Islamique ne s’est, pour l'instant, pas étendue à d’autres minorités.
L’esclavage sexuel n’a, visiblement, pas fait l’unanimité dans les rangs de l’organisation. Callimachi précise ainsi que "les dirigeants de l’Etat Islamique ont sans arrêt tenté de justifier cette pratique auprès de leur public interne".
L'occasion de relire notre article, publié en novembre 2014 : "L'Etat Islamique revendique l'esclavage des femmes yazidies".
(Par Julia Gualtieri)