Croissance Draghi : bombe de droite, bombe de gauche ?

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Tiens, une bombe !

Mario Draghi, gouverneur de la BCE, réclamant, devant le Parlement européen, un "pacte de croissance" après le pacte budgétaire, c'est comme si Marine Le Pen faisait soudain l'éloge de Mohamed Merah. Ainsi, au coeur de la grande machine européenne de l'austérité, le patron de la BCE reconnait que cette austérité ne suffira pas à sortir de la crise de la dette, et qu'il va bien falloir relancer l'économie. Il ne fait certes qu'admettre publiquement ce que soutient la quasi-totalité des économistes européens, et un nombre grandissant de responsables politiques, mais le virage est assez impressionnant pour chasser de la Une de la presse française les importantes questions du partage des couloirs de piscine, des consignes de vote données dans les mosquées, ou du menu des enfants dans les cantines scolaires. Pensez donc: France 2 en faisait même, hier soir, son ouverture.

Donc une bombe, d'accord. Mais laquelle ? Bombe de gauche, bombe de droite ? Parce qu'il y a deux recettes de croissance possibles. Recette de gauche (investissements publics, relance, ou même, soyons fous, création monétaire) et recette de droite (flexibilité, assouplissement, exercices de yoga, ou Dieu sait comment on l'appelle, du marché du travail). Qu'a voulu dire Draghi ? Personne ne sait. Dans la presse européenne, dans la petite troupe des éditorialistes économiques français, ou des correspondants à Bruxelles, personne ne sait rien. Ni ce qu'il a voulu dire, ni pourquoi il l'a dit maintenant (coup de pouce anticipé de bienvenue à Hollande ? Situation de l'Espagne ? Crise gouvernementale aux Pays Bas ?) En France, la bombe étant tombée au beau milieu de cette cour de récré hystérique qu'on appelle "l'entre deux tours", chacun tente de la récupérer pour la balancer sur l'ennemi. Hier, Hollande se félicitait, dans sa conférence de presse, de la déclaration de Draghi; ce matin, sur France Inter, Sarkozy rappelait que la croissance, bien entendu, n'a pas de meilleur ami que lui.

A l'heure où s'ébroue le matinaute, le seul enseignement de l'événement semble celui-ci: l'incertitude sur la nature et la portée profondes d'un événement n'empêchent donc nullement, ni sa récupération politique, ni sa tonitruante médiatisation. Si l'épisode donne la mesure de quelque chose, c'est aussi de la sous-couverture, par le quadrillage médiatique français, de ces lieux après tout sans grande importance, que sont la BCE, ou le Parlement européen.

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