Corruption : emballement au Sénégal après une bourde du site du Monde
La rédaction - - 0 commentaires"Une bourde mondiale", "Le Monde s'écroule", "Le Monde à l'envers" : en publiant un résumé erroné de son article sur l’enquête judiciaire sur le financement des élections présidentielles au Sénégal, Le Monde s'est attiré les foudres de plusieurs médias sénégalais.
"Affirmer le vendredi pour se dédire le dimanche, c’est ce que le journal Le Monde a fait". Le quotidien sénégalais Enquête + revenait, lundi 21 décembre, sur "l'affaire Lamine Diack" et son traitement par Le Monde et LeMonde.fr. Du nom de l’ancien maire de Dakar et président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), "l’affaire Lamine Diack" a créé un tollé médiatique au Sénégal. Diack a été mis en examen à Paris début novembre pour "corruption passive" et "blanchiment aggravé".
Il aurait touché de l’argent de la fédération d’athlétisme russe. Le Monde a révélé les détails du scandale vendredi dernier sur son site, puis dans l'édition papier du journal de samedi. En se procurant le contenu de l’enquête judiciaire, les journalistes Stéphane Mandard et Yann Bouchez (tous deux du service Sports du Monde) ont révélé que 1,5 millions d’euros ont été offerts à Diack par la Russie pour "renverser le pouvoir en place dans [son] pays" lors des élections présidentielles de 2012. Il s’agissait donc de soutenir des opposants politiques (non précisés) à Abdoulaye Wade, en échange de quoi Diack couvrirait certaines pratiques dopantes des athlètes russes.
Dans un résumé de l’enquête – cette fois accessible gratuitement sur le site du journal et signé des deux mêmes journalistes – le site indique : "C’est un coup de tonnerre dans le milieu du sport mondial et de la politique sénégalaise. Selon les déclarations de Lamine Diack aux enquêteurs français, des fonds russes auraient contribué en 2012 au financement de la campagne de Macky Sall contre le président sortant, Abdoulaye Wade." La révélation fait grand bruit au Sénégal. Mais elle est vite éclipsée par ce qui se révèle être une erreur du Monde.
Macky Sall, vainqueur en 2012 et actuel président du Sénégal, aurait été le bénéficiaire de ces fonds clandestins ? La révélation met directement en cause la transparence de la campagne électorale de l'actuel président sénégalais. Lamine Diack est sommé de s’expliquer. Interrogé par la radio sénégalaise RFM, il dément tout soutien financier à Macky Sall : "En dehors du président en exercice, il y avait 13 autres candidats. Il y avait des jeunes qui s’étaient mobilisés et j’ai misé sur eux. Je les ai financés (…). Mais je n’ai pas financé un candidat [en] particulier. (…) Je ne suis le copain de personne. Le président Macky Sall, je ne l’ai vu qu’après sa victoire contre Wade, pas avant", affirme l'ancien maire de Dakar et président de l'IAAF.
Diack aurait donc soutenu "des jeunes", mais pas Macky Sall en particulier ? C'est la version qui émerge quelques heures après la mise en ligne de l'enquête (et de son résumé) par Le Monde... et qui va être confirmée par le quotidien lui-même. En effet, durant le week-end, Le Monde modifie le résumé de son enquête : dans le chapô, le "financement de la campagne de Macky Sall" devient "le financement de l’opposition", et l'encart correctif suivant est ajouté :
L'encart rectificatif du Monde.fr
Ce "démenti" est repris en abondance dans les médias locaux."Le Sénégal est tombé des nues quand un influent journal français s’est laissé aller. (...) Dans un retentissant et controversé article, [l]es journalistes [du Monde] disent que Lamine Diack a financé la campagne électorale de Macky Sall en 2012, alors que ce dernier faisait face à Me Abdoulaye Wade", écrit le journal Enquête + le 20 décembre. Dans un autre article, le quotidien relève que cela n'absout pas tous les responsables politiques sénégalais de l'époque pour autant : "Le quotidien a publié une précision sur son site déclarant que Lamine Diack n’a jamais cité Macky Sall nommément. Ce qui ne blanchit ni le Président ni les autres membres de l’opposition de l’époque."
Les Une d'Enquête + du 21 et 22 décembre 2015
Réputé proche du pouvoir, le quotidiel Le Soleil s'en donne également à coeur joie en relatant dans un article la chronologie de "la bourde". Ses journalistes ont contacté Stéphane Mandard, co-auteur de l'article, pour obtenir des précisions sur ce chapô inexact. Celui-ci explique : "Dans notre article à nous, jamais nous ne citons Macky Sall. Jamais. Nous disons que c’est Lamine Diack qui a répété plusieurs fois qu’il voulait soutenir l’opposition du président de l’époque, y compris pour les élections municipales de mars 2009, dans la ville de Dakar".
Les Une du Soleil des 19 et 21 décembre
Comment cet article-résumé (gratuit) a-t-il pu être publié avec cette erreur, alors qu'il est signé de la main des deux auteurs de l'enquête ? D'après une source à l'intérieur du Monde citée par Le Soleil, le résumé n'aurait pas été écrit par les deux journalistes du service des Sports, mais par un journaliste du Monde.fr.
Après plusieurs éditions spéciales sur les chaînes du groupe D-Médias (SenTv, Zik FM) à propos des révélations du Monde, des journalistes du groupe ont été convoqués par la DIC (Division des investigations criminelles) sénégalaise ce lundi 21 décembre. Ils ont été relâchés ce mardi après-midi. L'opposant Oumar Sarr, secrétaire général adjoint du PDS (le parti de l'ancien président Wade), a également été convoqué pour avoir déclaré, après que l'erreur du Monde a été rectifiée : "L’argent sale, l’argent de la triche, l’argent du dopage dans l’athlétisme, l’argent de la drogue du sport, l’argent de la corruption est au cœur des différentes campagnes de Macky Sall."
"Le Monde s'écroule"... "sur Oumar Sarr"
(Enquête+ du 22 décembre 2015)
Par Benjamin Bruel