Copenhague : désolé, je ne suis pas très 11 janvier

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Désolé, je ne vais pas être très 11 janvier.

Mais l'ambassadeur de France, que faisait-il, au juste, à ce débat de Copenhague, ensanglanté par cette terrible agression ? Avait-il demandé l'avis du Quai d'Orsay ? Cet avis a-t-il été donné ? Suivi ? Et sinon, que pense le gouvernement de sa présence, avec intervention inaugurale, à un débat organisé par le comité de soutien d'un dessinateur qui a dessiné un chien à tête de Mahomet, et en présence de la Femen Inna, laquelle pense que le Ramadan est "stupide", et que l'Islam est "laid", comme nous l'avons rappelé dès samedi ?

Je m'explique. Qu'un dessinateur dessine Mahomet à tête de chien, s'il en a envie, cela ressort de la liberté d'expression. Je n'ai pas bien saisi la démarche artistique de Lars Vilks, ni de quelle manière, un an après l'affaire des caricatures de Mahomet, il est passé du mouvement suédois des chiens de rond-point, à la caricature de Mahomet. Mais ce n'est pas la question. Qu'un journal le publie, s'il juge le dessin pertinent, concerne encore la liberté d'expression. Le 7 janvier nous a montré combien ces gestes étaient courageux, et devaient être protégés.

Cela posé, il ne faut pas confondre les rôles. Que l'Etat protège ce dessinateur et ce journal, s'ils sont victimes de menaces, ressort de sa mission de protection de la liberté d'expression. Cette mission doit être assumée (de la même manière que doivent être protégées les synagogues et les mosquées, menacées par les deux crétinismes symétriques de l'antisémitisme et de l'islamophobie, et punis les profanateurs de cimetières, ça va de soi). Mais elle n'implique pas que l'Etat lui-même, ou ses représentants, s'expriment aux cotés des artistes ou des médias. Ce n'est pas à l'Etat, et à ses représentants, à venir s'exhiber auprès des dessinateurs, de manière à bien signifier aux dingues islamistes du monde entier que le Mahomet à tête de chien est devenu une spécialité française académique officielle et subventionnée, promue par les ambassades entre le cognac et le camembert. Et puis après, quoi ? Une filière caricatures de Mahomet aux Beaux-Arts ? Un grand prix au Concours Général ? Tout est aberrant, dans l'affaire de Copenhague. Que les amis de Vilks aient eu l'idée d'inviter un ambassadeur. Et que l'ambassadeur ait accepté. Le rôle de l'Etat, c'est de protéger ces irresponsables que sont, et doivent rester, les artistes. Pas de devenir lui-même irresponsable.

Les défenseurs de la laïcité, me semble-t-il, devraient bien comprendre ça : combien est précieuse la neutralité de l'Etat. Combien il est précieux qu'il assure la liberté d'expression, comme la liberté des cultes, et pour le reste, se taise. Frayant avec les dessinateurs, il sort de son rôle, de manière aussi incongrue, symétriquement, que lorsque le pouvoir chiraquien, en 2006, taxait Charlie Hebdo d'irresponsabilité pour avoir publié les caricatures de Mahomet.

Je sais bien que ce que je dis ici est subtil. Ne sera pas forcément compris. Je sais bien que chacun, faisant son devoir, a envie de franchir le pas supplémentaire : grimper sur la table, pour faire admirer au monde entier comme il fait son devoir, comme il tient son poste, ferme et courageux, et comme ce devoir est admirable. Mais ce pas supplémentaire, c'est justement celui qu'il ne faut pas franchir. C'est le pas de trop. Et la gestion quotidienne de cette subtilité, c'est justement le coeur de métier des diplomates. Ils servent exactement à ça. A savoir où est le pas de trop, et à ne pas le franchir. Et surtout, à ne pas vendre à la criée Charlie Hebdo, qui doit redevenir ce qu'il était avant la tuerie. Pas moins. Pas plus. Je vous avais prévenus, je ne suis pas très 11 janvier.

Illustration Jean Bagnati

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