Congés payés de Castets : le non-sujet de l'été

Camille Stineau - - Coups de com' - 48 commentaires

Les accusations contre Lucie Castets, à qui il est reproché de faire de la politique sur ses congés payés, ont reçu un certain écho médiatique. Les sujets de polémique concernant la macronie, qui ne manquent pas, ont quant à eux moins mobilisé les rédactions.

C'est la dernière polémique médiatique en date sur le Nouveau front populaire : Lucie Castets, désignée par l'union des partis de gauche pour être nommée à Matignon, fait de la politique pendant ses congés payés. Directrice des achats et des finances à la mairie de Paris, la haute-fonctionnaire a multiplié les déplacements et interviews, dans le but d'occuper le terrain afin de mettre la pression sur Emmanuel Macron en vue d'une nomination au poste de Première ministre. Il n'en fallait pas plus pour créer la polémique : le Canard Enchaîné révèle le 31 juillet qu'elle menait cette intense activité politique sur son temps de congés payés, et non dans le cadre d'une "mise en disponibilité" de la fonction publique.

Très vite, l'information est reprise. Le 1er août, le Parisien est déjà dans les starting-block : "La candidate du NFP pour Matignon est pointée du doigt pour être actuellement en congés payés de la mairie de Paris, au lieu d'avoir pris une disponibilité", nous informe le quotidien. BFMTV a également relayé l'information, en prenant néanmoins le soin de préciser dans le titre de son article la défense de Lucie Castets, qui estime que tout est en ordre. Le Figaro, de son côté, a un scoop : la droite parisienne a décidé de saisir le parquet national financier pour alerter sur cette situation. Dans un courrier envoyé à l'institution judiciaire et relayé par le journal du groupe Dassault, les élus de droite accusent notamment la candidate du NFP pour Matignon de "détournement de fonds publics", et d'utiliser le service de presse de la ville de Paris. Raté, puisque selon Lucie Castets ainsi que les partis du NFP, toutes ses activités politiques sont financées par l'union de la gauche, et non par la mairie de Paris. Si la défense de Lucie Castets est bien mentionnée dans l'article, le Figaro fait néanmoins la part belle aux accusations portées à son encontre. Après avoir donné la parole à Rachida Dati qui accuse Lucie Castets de détourner les impôts des parisiens, le quotidien de droite termine son papier en estimant que Lucie Castets "n'arrive toujours pas à franchir le mur du son"

Une fois n'est pas coutume, le Point est venu au secours de la gauche dans cette affaire. L'hebdomadaire, jamais avare de piques contre la France Insoumise, nous informe ainsi dans un article éclairant sur les droits et devoirs des fonctionnaires, que "sauf à singer les outrances de Jean-Luc Mélenchon, Lucie Castets prend peu de risque en s'engageant durant ses vacances dans cette drôle de campagne". Autre journal venu prendre la défense de Lucie Castets, l'hebdomadaire Marianne rappelle que le cas de la candidate du NFP pour Matignon est "moins problématique que celui des ministres démissionnaires qui sont toujours en poste alors qu'ils cumulent leur (non-)activité avec une responsabilité de députés."

Alors, où est le problème ?

Les fonctionnaires sont soumis à un devoir de réserve, qui leur impose une forme de "modération dans leurs propos", selon Johanna Touboul, avocate au barreau de Toulouse, spécialisée dans le droit de la fonction publique, interrogée par Arrêt sur images. Dans leur lettre au parquet national financier, relayée par le Figaro, les élus de droite de la mairie de Paris affirment pourtant que la réserve "interdit toute prise de position politique" aux fonctionnaires. Une interprétation que dément Johanna Touboul : "Tant que les propos sont tenus avec modération, qui plus est sans lien avec l'exercice des fonctions, on ne sort pas du devoir de réserve", analyse l'avocate, qui rappelle que de nombreux fonctionnaires font de la politique en France. Sur le cas Lucie Castets, "la question peut se poser, mais à mon sens il n'y a pas de difficulté" conclut-elle.

Deux poids, deux mesures

Dans la torpeur de l'été, d'autres sujets de polémique auraient pu agiter les rédactions.  Les décisions contestables du pouvoir macroniste s'enchaînent, sans que les commentateurs de plateaux télés ne trouvent quoi que ce soit à redire. Ainsi, le 31 juillet, on apprenait grâce à l'AFP que Bruno Le Maire, ministre démissionnaire d'un gouvernement chargé de gérer les affaires courantes et ne bénéficiant d'aucune majorité à l'Assemblée nationale, prépare activement le prochain budget de l'État. Le futur ex-ministre de l'Économie entend bien, dans ce cadre, réduire considérablement les dépenses des ministères dans le but de réduire le déficit public. Une cure d'austérité qui a tout d'un choix politique, loin de la simple gestion des affaires courantes. Pourtant, cette annonce de coupe dans les dépenses n'a pas suscité de réelle polémique. Il faut dire qu'elle a été faite en pleine trêve politique et olympique, décrétée unilatéralement par le chef de l'État. Trêve plutôt respectée par les grands médias, qui dans leur majorité, n'ont rien trouvé à redire de l'étrange démarche d'un président qui, après avoir convoqué des élections, demande au pays d'arrêter la politique, alors qu'aucun gouvernement n'a encore été formé.

Dans la liste des potentielles polémiques qui n'en sont pas pour le moment sur les plateaux télés, on retrouve aussi les propos de Prisca Thevenot. La porte-parole du gouvernement démissionnaire a déclaré ce 12 août sur Sud Radio : "Je crois qu'il y a une médaille d'or qu'on a oublié d'attribuer, c'est celle de l'indécence et de l'anti-France pour la France Insoumise", suscitant pour seule réaction un regard étonné et les mots "l'anti-France ?" de la part du journaliste qui l'interviewait.  Des propos similaires avaient déjà été postés sur X par la député macroniste Maud Bregeon deux jours plus tôt.

En reprenant à leur compte le concept d'anti-France, ces deux figures de la macronie ajoutent une ligne de plus à la (longue) liste des fois où le camp présidentiel s'est montré perméable aux idées d'extrême droite. Le concept d'anti-France a été forgé à la fin du 19ème siècle par les antidreyfusards, qui l'utilisaient dans le cadre d'une rhétorique antisémite. L'expression a été à nouveau employée sous le régime de Vichy pour désigner les résistants, accusés alors d'être "inspirés" par des Juifs (voir l'illustration ci-dessous). Ainsi, dans la Revue d'histoire de la Shoah, l'historien Emmanuel Debono explique la signification politique de ce concept : "Dans son utilisation par la droite nationaliste, l'«anti-France» était un ensemble composite qui rassemblait les idéologies, les religions et les organisations honnies, au premier rang desquelles le judaïsme, la franc-maçonnerie et le communisme, trois éléments étroitement soudés. Tous étaient accusés de rechercher la dissolution de la substance assurant la cohésion de la nation française dans le but invariant d'asseoir la domination juive sur le monde. La manière d'y parvenir était censée être une vaste conspiration maléfique."

Après l'invocation de la notion de "pays réel" et "pays légal", empruntée par Emmanuel Macron à l'antisémite et vichyste Charles Maurras en 2020, après l'hommage rendu à Philippe Pétain par le président de la République en 2018, après les écrits antisémites de Gérald Darmanin dans son livre Le séparatisme islamiste - Manifeste pour la laïcité (éditions de l'observatoire, 2021), la macronie nous offre une fois de plus un exemple de ce que certains appelleraient une "ambiguïté sur l'antisémitisme". Pour le moment, Libération est le seul média national, selon notre recension, à avoir relevé les similitudes entre le vocabulaire de Prisca Thevenot et celui de l'extrême droite.

Lire sur arretsurimages.net.