Conflits d'intérêts : refonte Conseil d'analyse économique ?

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

Et si on commençait à faire le ménage ? C’est en substance le message de la chronique signée Romain Rancière parue dans les pages Rebonds de Libération hier. L’économiste, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, invite à une refonte du Conseil d’analyse économique (CAE), qu’il critique pour ses conflits d’intérêts et son inefficacité. Rancière propose de le remplacer par un conseil d’experts économiques dupliqué sur le Council of Economic Advisors états-uniens.

Qu’est-ce que le Conseil d’Analyse économique ? Une structure créée par Jospin en 1997 censée "éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique" (dixit son site Internet). Sauf que le CAE est soupçonné d’être "un lieu perméable au lobbying et aux conflits d’intérêts" et d’être, en plus, d’une relative inefficacité.

Sur les conflits d’intérêts du CAE, le premier à soulever le lièvre est Jean Gadrey (nous en parlions ici). Sur son blog hébergé par Alternatives économiques, l’économiste s’étonnait en septembre 2009 du cursus à rallonge mêlant privé/public de deux membres du Conseil, Jean-Hervé Lorenzi et Christian de Boissieu.

Ce dernier est le président délégué du CAE (le président étant le Premier ministre, qui, selon Rancière, n’assiste plus aux séances plénières du Conseil depuis 2006, signe du déclin de la structure) et en effet, il cumule – ou cumulait – poste universitaire et sièges dans les conseils d’administration de banques (comme en témoigne tout bêtement sa page wikipedia).

S’il ne cite aucun nom, Rancière ne louvoie pas avec ce problème de conflits d’intérêts : "Un tiers de ses membres sont des économistes de banques. Un autre tiers - dont son président délégué - sont des académiques aux multiples casquettes (…). On a vu, par exemple, un rapport sur le gaz et l’électricité rédigé par un professeur par ailleurs consultant pour un cabinet dont les clients sont les grands groupes énergétiques ; un rapport traitant des conséquences de la crise pour la régulation financière corédigé par deux chefs économistes de grandes banques françaises."

Une recherche rapide, et l’éconaute, qui aime bien appeler un chat un chat, comble les blancs. Le rapport sur le gaz et l’électricité, publié en février 2008, est signé Jacques Percebois et Jean-Marie Chevalier, lequel est, selon son CV, Director, European Gas and Power au Cambridge Energy Research Associates. Et qu’est-ce que le Cambridge Energy Research Associates ? Un cabinet états-unien qui conseille "les gouvernements et les entreprises privées sur l'énergie des marchés, la géopolitique, les tendances de l'industrie, et la stratégie". Quant à la prose sur les conséquences de la crise, Rancière doit penser à la publication du rapport sur la crise des subprimes qui pose les questions suivantes : "Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les conséquences de cette crise ? Quelle a été la réponse des autorités ? Comment mieux réguler le système bancaire financier ?" Parmi les quatre auteurs, on trouve Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de chez Natixis, et Jean-Paul Betbèze, chef économiste et directeur des études économiques au Crédit agricole.

Parallèlement aux soupçons de conflits d’intérêt, Rancière dénonce également l’inefficacité du CAE, qui publie des rapports certes (huit par an), mais ne pèse pas du tout dans le choix des politiques économiques à mener. Il propose de s’inspirer du Council of Economic Advisors mis en place aux Etats-Unis : "On pourrait imaginer de créer en France, un conseil des experts économiques, formé de trois membres, choisis pour trois ans parmi les économistes français internationalement reconnus. Les membres du Conseil seront nommés par le Président mais leur nomination devra être confirmée par les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat. Les membres du conseil seront détachés de leur institution d’origine. Ils seront employés et rémunérés à plein temps par le conseil. Le Conseil sera placé auprès du président de la République mais pourra être consulté aussi souvent que nécessaire par le gouvernement. Comme aux Etats-Unis, il disposera de son équipe d’économistes statisticiens, en partie choisis par lui, et en partie fournis par les services ministériels."

Rancière l'assure : "D’un tel conseil d’experts économiques, on peut attendre une contribution substantielle à l’amélioration de la qualité des décisions économiques en France." Y a plus qu'à.

L’éconaute avait sollicité Romain Rancière sur la création d’un code de déontologie. L’enquête est à lire ici. Elle prolongeait le sujet du livre de Laurent Mauduit sur les Imposteurs de l'économie.

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