Comment Wes Craven a perturbé, malgré lui, une émission d'@si

Robin Andraca - - Fictions - 0 commentaires


Wes Craven, monument du cinéma horrifique américain, à l'origine des personnages mythiques de Freddy Krueger ou du tueur en série masqué de Scream, est mort le 30 août 2015, à l'âge de 76 ans. Le 24 novembre 2002, la philosophe Blandine Kriegel, conseillère de Jacques Chirac à l'Elysée, quittait le plateau d'@si, alors diffusée sur France 5, en pleine émission. Le lien entre les deux ? Plusieurs meurtres inspirés du film de Wes Craven et un rapport polémique remis au ministère de la Culture et de la Communication.

Le célèbre serial-killer masqué de Scream

Le 4 juin 2002, dans la banlieue de Nantes, un adolescent de 17 ans tue d'autant de coups de couteaux une jeune fille âgée de deux ans de moins que lui. Arrêté et condamné à 25 ans de prison, l'adolescent explique aux enquêteurs avoir vu la trilogie de films d'horreur Scream quinze jours avant de passer à l'acte. Ce n'est pas la première fois que ce film d'horreur est évoqué, de façon plus ou moins lointaine, à l'occasion d'un morbide fait-divers. Au milieu de l'été 2000, cinq garçons âgés de 20 à 27 ans avaient été arrêtés et mis en examen, soupçonnés d'avoir agressé et violé une coiffeuse de 21 ans en portant les masques de Scream (inspirés du tableau Le Cri de Munch).

Plus grave encore : le 25 septembre 2000, les cadavres d'un couple de bouchers frappés chacun d'une trentaine de coups de couteau sont retrouvés, dans leur chambre à coucher, à Lebetain (territoire de Belfort). Le coupable ? Leur fils, âgé de 15 ans, qui affirme avoir eu des hallucinations auditives et croyait avoir reçu sur son portable des messages signés "Scream".

Cette série de faits-divers tragique pousse, en juin 2002, le ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon, à réagir : "Comme tout un chacun, je suis terrifié. Je m'interroge sur ma responsabilité". En plus de sa réaction, le ministre du gouvernement Raffarin confie une mission à la philosophe Blandine Kriegel sur "l'impact de la violence à la télévision sur le public et les jeunes".

Capture Libe.fr, 6 juin 2002

Mission accomplie en novembre de la même année avec un rapport polémique de 75 pages qui conclut à "l'existence d'un pouvoir et d'un danger de la violence télévisée". Pour lui, aucun doute : "L'effet est net, proportionnel au temps passé devant l'écran", que ce soit pour les enfants mais aussi pour les jeunes adultes, estime le rapport.

Le document de 75 pages recommande, notamment, de s'aligner sur le Royaume-Uni qui accorde beaucoup moins de visas "tous publics" que la France : "La France a une approche très libérale en la matière, nettement différente par exemple de celle de la Grande-Bretagne ; pour exemple, en France, 80% des films ne sont assortis d’aucune restriction, seuls 20% le sont, en Grande-Bretagne, les proportions sont inversées".

Le rapport en question, consultable à cette adresse

Un rapport et des recommandations accueillis très froidement par le monde du cinéma, inquiet qu'une modification des normes françaises empêche un grand nombre de films d'être diffusé à la télévision avant 22h30. Le 24 novembre 2002, le réalisateur Jean-Jacques Beineix, en première ligne des mécontents, fait face à Kriegel sur le plateau d'Arrêt sur images, diffusée à l'époque sur France 5. Après 25 minutes d'émission, l'universitaire quitte sur le plateau en lançant (tendez bien l'oreille) "Messieurs les censeurs, bonsoir !".

"C'est une première dans l'histoire d'Arrêt sur images !"



Très critique, le réalisateur reprochait à la philosophe de "recommander la censure qu'il y a dans les avions". A quoi faisait-il référence ? A un passage du rapport qui indique qu'aux Etats-Unis, "les chaînes hertziennes font attention et montrent, comme dans les avions, des versions édulcorées des films d’action hollywoodiens". L'émission reprend malgré tout et Beineix enfonce le clou, en expliquant avoir passé le rapport de Kriegel au traitement de texte pour en révéler les occurences qui revenaient le plus régulièrement. C'en est trop pour la philosophe qui prend son sac et quitte le plateau.

DS, sur le plateau à l'époque : "On n'avait encore jamais produit d'images de départ"

"Kriegel a été bousculée alors qu'elle pensait être en terrain conquis", explique Hélène Risser, présente sur le plateau ce jour-là, vingt ans plus tard . Le Parisien, qui avait à l'époque suivi cette affaire de très près, a une autre version : "C'est Beineix qui devait la faire sortir de ses gonds, déclarant à propos du rapport qu'il avait « l'impression de lire Tintin chez les Soviets ». Une formule assassine, Blandine Kriegel étant la fille du résistant et député communiste Maurice Kriegel-Valrimont".

Epilogue de l'histoire : le rapport n'eut aucune incidence sur les programmes télévisés français et Kriegel fut la seule invitée à quitter le plateau d'@si, du temps où l'émission était diffusée à la télévision.

L'occasion de relire notre enquête, où il était déjà question de ce départ précipité : "Coupage de cheveux en quatre et enculage de mouches : les anciens de l'émission racontent".

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