Comment les pouvoirs s'expliquent : la France à la traîne
La rédaction - - Coups de com' - 26 commentairesNous avons classé 7 pays en fonction de l'accès des journalistes aux chefs de l'exécutif, dans le contexte du Covid-19
Depuis le début de la crise liée à la pandémie de coronavirus, Emmanuel Macron s'est fait une spécialité des prises de parole régaliennes, sans journalistes pour l'interroger. Des États-Unis à l'Espagne, les chefs de l'exécutif sont pourtant accessibles aux médias via des conférences de presse régulières. Petit palmarès.
Trois allocutions télévisées encadrées par la Marseillaise, empreintes d'une solennité monarchique, et sans journalistes : depuis l'arrivée de la pandémie sur le territoire français, Emmanuel Macron refuse l'exercice démocratique de la conférence de presse. Une communication qui détonne quand on la compare à l'exercice d'autres chefs de l'exécutif. Nous avons examiné le fonctionnement des conférences de presse gouvernementales "Covid-19" aux États-Unis, au Canada et au Québec, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. Le premier chef de l'exécutif est-il présent ? Quelle est la fréquence de ces conférences de presse ? Les journalistes peuvent-ils poser librement leur questions et rebondir sur les réponses ? Nous vous proposons ici un petit palmarès, sans prétention scientifique.
Numéro 1 : les États-Unis
Des conférences quotidiennes avec Donald Trump, et des questions sans concession... façon match de boxe (montage).
A l'opposé d'un Macron isolé dans son bureau à l'Elysée, parlant face caméra sans contradicteur, le cas Donald Trump. Depuis que la pandémie a pris de l'ampleur aux États-Unis, le président s'est plié à un exercice qu'il abhorrait jusque là : les points-presse. Ils sont quotidiens. Et, tout en maintenant strictement les mesures de distanciation sociale (plusieurs fauteuils vides entre chaque participant), les journalistes peuvent poser leurs questions aux intervenants, dont Trump... et réagir lorsqu'ils estiment ne pas avoir de réponse satisfaisante.
Sur le papier, ça sonne bien. Un accès très fréquent, direct et interactif, le pays coche les trois cases. Pourtant, les conférences de Trump ont tendance à se transformer en véritables affrontements entre le président et les médias. Ces derniers tentent désespérément d'obtenir des réponses claires et chiffrées sur la gestion de la crise, quand leur interlocuteur ne répond que pour les attaquer, eux, leurs médias et leurs questions. Voir, pour s'en convaincre, le montage ci-dessous.
Numéro 2 : le Canada
Des conférences quotidiennes au niveau fédéral et aussi dans chaque province, mais une parole gouvernementale accusée d'écraser toutes les autres.
Dans un style un peu similaire, l'exécutif canadien a également opté pour l'omniprésence médiatique. Depuis la mi-mars, le Premier ministre Justin Trudeau prend chaque jour la parole lors d’une allocution prononcée devant les journalistes, à l'entrée de sa résidence officielle. Même stratégie pour François Legault, Premier ministre du Québec, dont les conférences de presse quotidiennes sont assidûment suivies par la population. Legault répond aux questions de journalistes présents sur place, quitte à être mis en difficulté lorsqu'on l'interroge le 11 avril dernier, par exemple, sur la situation critique dans les établissements pour personnes âgées.
Alors, le Canada, autre parangon démocratique en période de crise sanitaire ? Là encore, pas si simple : certaines voix critiques soulignent que l'omniprésence du discours des gouvernants sature l'espace médiatique au détriment du débat public. Ainsi du quotidien de Montréal Le Devoir
, qui écrivait le 7 avril que la "mise en scène quotidienne du pouvoir et [la] théâtralisation du politique donnent au spectateur l'illusion de la transparence"
au service de la communication pure. Le quotidien pointait notamment "l'absence quasi totale de l’opposition élue"
et "le rôle de chien de garde encadré joué quotidiennement par les reporters"
.
une chancelière scientifique
Numéro 3 : l'Allemagne
Des conférences non-quotidiennes, mais une Angela Merkel pragmatique et scientifique qui répond à toutes les questions.
En Allemagne, Angela Merkel s'est exprimée une dizaine de fois depuis début mars, en présence des journalistes. Globalement, les échanges sont, comme d'habitude entre la Chancelière et les journalistes, posés, factuels, cordiaux. "Merkel reste Merkel"
, écrivait l'hebdomadaire de référence Der Spiegel
le 16 mars dernier, c'est à dire pragmatique et précise. Comme ci-dessous.
Angela Merkel montre sa grande maîtrise de l'épidémie en cours! C'est impressionnant de clarté.
— Cyrille Vanlerberghe (@CyrilleVan) April 16, 2020
Elle a parfaitement compris à quel point la sortie de confinement va se jouer sur le fil du rasoir. Le succès ou l'échec va se jouer à très peu de chose. https://t.co/n9P6dpEGAA
Seul couac notable : s'étant mise en "quatorzaine" par précaution, Merkel a dû faire plusieurs de ces conférences de presse par téléphone. Une "grande première"
, rappelle le quotidienSüddeutsche Zeitung
, qui n'est pas allée sans quelques bugs techniques (échos, sursauts de son, coupures).
Non-réponses britanniques
Numéro 4 : le Royaume-Uni
Des points-presse quotidiens, mais les journalistes sont en visioconférence, et ne peuvent pas rebondir.
Au Royaume-Uni, l’exécutif se livre à une conférence de presse quotidienne, pour laquelle Boris Johnson, malade, a cédé sa place au ministre des Affaires étrangères Dominic Raab. Les conférences se déroulent à distance avec un groupe de journalistes en visioconférence dont la composition varie chaque jour, et qui ne peuvent rebondir sur la réponse à leur question. Un dispositif lacunaire, pour la journaliste politique Kate Proctor, qui regrettait dans les colonnes du Guardian
le 4 avril, que "ce format empêche de réagir à ce que disent [les ministres], ce qui fait qu’ils s’en sortent avec un nombre impressionnant de non-réponses
"
.
Questions par Whatsapp
Numéros 5 et 6, ex-aequo : Italie et Espagne
Les deux chefs de l'exécutif s'exprimaient sans journalistes, façon Macron. Dans les deux pays, les syndicats de journalistes ont obtenu des visioconférences de presse.
En plus de ses allocutions télévisées et sans journalistes, façon Macron, Giuseppe Conte, président du Conseil des ministres italien, a tenu une dizaine de conférences de presse depuis le 22 février, date du premier mort italien. Comme au Royaume-Uni, c'est le direct par visioconférence qui a été choisi. Mais il a fallu insister : le 22 mars dernier, l'Ordre des journalistes a soutenu la demande de l'association des journalistes parlementaires, réclamant des "conférences de presse à distance"
, après une allocution de Conte en direct sur Facebook, sans questions-réponses.
En Espagne, le président du gouvernement Pedro Sanchez tient régulièrement des visioconférences de presse. Mais pendant les premières semaines de la crise, la situation était toute autre : les questions aux membres du gouvernement étaient posées sur un fil WhatsApp, puis sélectionnées par le secrétaire d’État à la Communication lui-même. De quoi alimenter le procès d’une communication opaque. Le 31 mars, plusieurs syndicats de journalistes ont publié un manifeste intitulé "La liberté d’interroger"
pour exiger un changement de dispositif. Ils ont été entendus.
Numéro 7 : la France
Le chef de l'exécutif s'est adressé aux Français à trois reprises seulement, via des allocutions sans journalistes. Zéro pointé.
Le rituel est quasi-monarchique. Depuis le 12 mars, Emmanuel Macron s'est adressé aux Françaises et Français les 12 et 16 mars, puis le 13 avril. Hymne national au début et à la fin, ton régalien ou martial - la forme des discours présidentiels a été mille fois débattue. Après ces allocutions, point de journalistes. Le chef de l'exécutif français ne fait pas de conférence de presse. Il laisse ce soin aux membres de son gouvernement (dont le Premier ministre), ainsi qu'à Jérôme Salomon qui tient tous les jours un point sur la situation. Une communication à sens unique, bien loin d'un exercice de transparence démocratique, et qui s'est attirée les critiques de journalistes, empêchés de le suivre dans ses déplacements.