Comment les magasins Relay se muent en vitrine de l'extrême droite
Enzo Chesi - - Financement des medias - 33 commentairesRachetés en 2022 par le groupe Vivendi, propriété de Vincent Bolloré, les magasins Relay présents dans plus de 350 gares, métros et aéroports se sont transformés en vitrine de l'idéologie ultra-conservatrice. De nombreux titres conservateurs, dont certains possédés par Bolloré, sont souvent mis en avant. Plusieurs salarié·es de la chaîne de magasins expliquent que ce choix leur est imposé par le groupe Lagardère.
Au milieu de cette gare parisienne, à peine a-t-on franchi les portes de la boutique Relay que chaque voyageur·euse fait face à un important pilori de magazines. Valeurs Actuelles, le JDNews, Le Point, Marianne ou encore Paris-Match accueillent les client·es en devenir. Un pas de plus et l'on découvre en tête de gondole les magazines d'extrême droite Frontières et Furia, bien en évidence, à la vue de tous·tes.
Loin d'être un hasard, nous avons retrouvé cette disposition à plusieurs reprises dans les sept points de vente de la capitale où nous nous sommes rendus ces derniers jours. Suite au rachat de la chaîne de magasins en 2022 par le milliardaire d'extrême droite, Vincent Bolloré, la bataille culturelle qu'il a entrepris depuis plusieurs années se prolonge désormais logiquement dans les kiosques, dans la façon dont sont mis en avant certains magazines, plutôt que d'autres. "Ça confirme ce qu'on a observé de manière empirique"
, commente sur notre observation Olivier Petitjean, l'un des rédacteurs d'un rapport publié en avril 2025 sur "Le Système Bolloré, de la prédation financière à la croisade politique".
Une boutique avec une ligne éditoriale
Présente en France dans plus de 350 gares, métros et aéroports, l'enseigne rouge vif est connue de tout·e voyageur·euse. Elle permet de se restaurer, mais aussi de s'informer. Elle propose une large gamme de lecture, des journaux généralistes à la presse spécialisée en passant par les livres en vogue. Depuis plusieurs mois, elle est accusée, en ligne mais aussi ailleurs, de mettre en valeur d'abord les titres les plus conservateurs.
De fait, dans les points de vente visités par ASI, les magazines de droite et d'extrême droite sont surreprésentés et particulièrement visibles. On les retrouve à l'entrée des magasins, aux abords des caisses et en tête de gondole. Parfois, ils sont visibles sans même entrer dans la boutique. C'est notamment le cas avec la une de Valeurs Actuelles affichant un portrait du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. Les magazines d'extrême droite, Frontières et Furia, pas forcément les plus connus du grand public, occupent aussi des places privilégiés.
Ce choix éditorial est d'autant plus visible que la presse dite de gauche, ou du moins progressiste, est souvent absente de ces spots d'affichages. Les magazines comme Politis ou encore Society sont reclus dans des rayons beaucoup moins visibles.
Qui décide, concrètement, de mettre en avant tel magazine plutôt qu'un autre ? Les salarié·es qu'ASI a interrogé·es apportent un début de réponse. "Ce n'est pas moi qui choisis, mais ce sont mes responsables. On ne fait qu'appliquer les règles"
, glisse discrètement un vendeur. Dans un autre magasin Relay, un responsable de rayon assure avoir entendu que des mails avec une plaquette circulaient entre le groupe Lagardère (appartenant à Vincent Bolloré) et le gérant de sa boutique. Cette "plaquette" indiquerait la place de chaque magazine. Le gérant d'un autre Relay confirme recevoir un plan détaillé. Alors qu'il s'apprête à nous le montrer sur son ordinateur, il se rétracte par crainte envers sa hiérarchie.
Contacté le 29 juillet par ASI à ce sujet, le groupe Lagardère n'a pas donné suite à nos multiples sollicitations. Franck Annese, directeur de publication de Society, explique qu'il faut, en réalité, payer pour être sur des espaces dits "promotionnels"
: "Les médias achètent ces emplacements privilégiés. Ce sont des tarifs à la semaine qui peuvent tourner autour de 4 000 €. Il m'est arrivé d'acheter un
« emplacement Premium
» à 11 000 €".
Cet emplacement octroie le droit d'être affiché seul, à des endroits stratégiques du point de vente, comme au devant des caisses. Selon nos informations, Frontières a déjà payé pour bien figurer dans les magasins Relay.
Quid des magazines possédés par Bolloré, mis en valeur dans des magasins qu'il possède, via son groupe Vivendi ? Payent-ils aussi, si oui la même somme que les autres titres ? Ont-ils le droit à un traitement de faveur ? Contacté à ce propos, à plusieurs reprises, le groupe Lagardère n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
Rachat de Lagardère par Bolloré : le début de la fin
Alors que l'enseigne Relay est longtemps restée fidèle à sa création, en 1852,
elle connaît un tournant en mai 2022. Vincent Bolloré rachète le groupe Lagardère. L'accord est finalisé en juin 2023. Il ajoute alors à son arsenal médiatique la maison d'édition Hachette, Europe 1, Europe 2, RFM, le JDD et le JDNews. "En seulement quelques années, il a largement complété sa panoplie et donc augmenté son pouvoir dans les médias, l'édition, etc."
, relate Olivier Petitjean.
Aujourd'hui, Vincent Bolloré est présent partout, dans les médias, dans la musique, dans les jeux vidéos, dans la formation... Il est parvenu en quelques années à se bâtir un empire culturel et médiatique ventripotent, avec des méthodes parfois brutales. Il a investi une partie de sa fortune. Selon le rapport sur le "Système Bolloré", 90% de son activité est "mis activement ou à titre d'alibi au service de l'extrême droite"
. Et poursuit : "Le projet politique occupe une place de plus en plus visible"
. Que ce soit avec Europe 1, l'éditeur Fayard ou encore leJDD, la mainmise du breton visé par une plainte pour recel et blanchiment d'argent en Afrique, a eu pour conséquence d'imposer son idéologie.
Le rachat des magasins Relay s'inscrit dans cette continuité. "Il est dans une bataille culturelle et idéologique. Et on est ici face à la même stratégie qu'il peut avoir sur C8 ou CNews",
analyse Olivier Petitjean. "C'est une stratégie de la chambre d'écho. On invite les mêmes personnes et les mêmes idées de manière récurrente. Cela crée un effet de masse, créant un miroir déformant. Il laisse penser que les citoyens et la société sont acquis aux idées de droite et d'extrême droite. Ce qui est totalement faux"
.
Les Relay accentuent cette chambre d'écho, d'abord parce qu'ils sont très fréquentés, mais aussi parce qu'ils concentrent à eux seuls la panoplie de journaux et de maisons d'éditions du milliardaire. Radio-France a par exemple pointé en 2024 la communication "hors-norme",
notamment dans les magasins Relay, du livre du président du Rassemblement national, Jordan Bardella, Ce que je cherche (édité par Fayard, propriété de Vincent Bolloré).
Une société civile qui se mobilise
Face à cette offensive politique, différentes initiatives citoyennes fleurissent. Le collectif "Désarmer Bolloré"
a mis en place différentes actions. En décembre 2024, une opération de submersion de marque-pages et de stickers s'est répandue dans les Relay, et plus largement dans toutes les libraires qui publiaient les livres provenant des maisons d'édition de Vincent Bolloré. Début 2025, des manifestations se sont organisées devant les Relay dans plusieurs villes de France (Angers, Mulhouse, Rennes...).
En ligne, des influenceur·euses engagé·es se mobilisent également. C'est le cas du compte Instagram "Le jeune engagé" qui partageait un post le 23 juillet 2025 où l'on peut lire : "Cet été, c'est pas chez Relay. Depuis que Bolloré a racheté les magasins Relay, on a bien compris la stratégie de mise en rayon des magazines. Faites le test, les têtes de gondoles sont réservées aux magazines d'extrême droite dont le JD News, propriété du patron. La liberté d'expression à géométrie variable"
. L'influenceur préconise d'aller dépenser son argent ailleurs : "A
ller chez le buraliste pour son magazine et au snack d'à côté pour son sandwich"
.
Dans les commentaires, bon nombre de personnes partagent des astuces pour prendre part à la mobilisation. "Depuis le rachat je n'y mets plus les pieds, et je préviens tout le monde autour de moi",
peut-on lire, ou encore :
"Passion : passer dans les Relay pour cacher ou retourner les livres d'extrême droite"
. Le média Socialter indique également en commentaire passer son temps "à mettre Socialter et tous les copains de la presse indé devant Valeurs & co".
L'auteur du rapport sur le "Système Bolloré", Olivier Petitjean, juge essentielle cette mobilisation citoyenne. "Ne pas aller acheter dans ces magasins et privilégier des librairies indépendantes sont aussi de bons moyens de protester. En réalité, il existe très peu de moyens de résistances. Contrairement aux médias où l'Arcom joue le rôle de garde-fou, pour les boutiques Relay, personne ne régule"
. Mais il alerte également sur un point : "On a pendant trop longtemps laissé le pouvoir économique s'accumuler dans quelques mains. Et maintenant, il est utilisé à des fins politiques. Ce genre de monopole est extrêmement dangereux pour la démocratie, d'autant plus que Vincent Bolloré ne va pas s'arrêter là"
.