Comment la télé avale (et recrache) les intellos (L'Obs)

Robin Andraca - - 0 commentaires

Cette semaine, L'Obss'est penché sur l'histoire d'amour compliquée entre medias et intellectuels médiatiques. Où l'on apprend, entre autres, qu'Emmanuel Todd ne souhaite plus être considéré comme un personnage public.

"Ah non non non, je fais une pause là. Vous voyez, je fais des courses au supermarché, j’achète des légumes, je ne veux plus rien avoir à faire avec les journaux. Oubliez ma présence sur votre carnet d’adresse. Considérez-moi comme un personnage non-public." Cet intellectuel qui préfère acheter des légumes plutôt que de répondre à L'Obs, c'est Emmanuel Todd, venu il y a quelques mois sur notre plateau pour discuter de la réception très agitée de son livre Qui est Charlie ?. Huit mois plus tard, l'historien et démographe ne s'en est, semble-t-il, toujours pas remis. Il n'est pas le seul : il y a quelques semaines, Michel Onfray avait accordé à Thierry Ardisson une "dernière interview avant le silence médiatique".

La pensée est-elle soluble dans le journalisme, et plus particulièrement à la télévision ? Cette question, L'Obs l'a (à nouveau) posée. Et les quelques figures médiatiques qui ont accepté de répondre à l'hebdo semblent plutôt s'accorder sur le fait qu'on ne vient pas à la télévision pour penser, mais pour remplir une fonction. C'est le cas notamment de l'historien Pascal Blanchard, qui confie à L'Obs : "Je travaille sur l’immigration postcoloniale. C’est censé me donner une compétence sur les Arabes, donc sur l’islam. Et comme je peux parler d’islam, je peux nécessairement parler de terrorisme, de la situation en Irak, des lois sécuritaires, etc. On vient vous chercher pour des raisons très particulières, qui ont généralement peu à voir avec ce que vous faites réellement (...) Vous remplissez une fonction."

Pour Christian Delporte non plus, médiatique historien des médias, "le cœur du métier, ce n’est pas la profondeur de la pensée, mais l’incarnation d’un imaginaire immédiatement identifiable par le téléspectateur. Quand BHL apparaît à l’écran, on sait d’emblée ce qu’il va dire et comment il va se situer". "En France, les intellectuels rêvent d’écrire dans la presse et les journalistes rêvent d’être considérés comme des intellectuels, voire comme des guides. La partie la plus visible de la production journalistique, c’est l’opinion. Et aujourd’hui, les rôles se rejoignent. Le cas le plus caractéristique étant Eric Zemmour", ajoute-t-il.

"plus on se radicalise, plus on passe à la télévision"



Pour Eric Fassin, sociologue, le problème est ailleurs : "Aujourd’hui, les médias classent comme intellectuels des personnages qu’aucun universitaire ne reconnaîtrait comme tels. Ce n’est pas nouveau, mais ça prend de l’importance". "Le propre de l’intello médiatique, c’est qu’il est intéressant à l’origine. Puis il sombre dans la facilité, parce qu’il n’a plus le temps de penser. Il court les plateaux, il réagit sans cesse. Le travail intellectuel exige de consacrer du temps à la réflexion", renchérit Delporte.

Comment, en tant qu'intellectuel, devenir un "bon" client des médias ? "J'aurais tendance à penser que plus on se radicalise, plus on passe à la télévision", estime Rony Brauman, ancien président de Médecins sans Frontières, également interrogé par l'Obs. "Si on prend Onfray, ou Finkielkraut, ou BHL : ce sont eux qui ont progressivement rétréci leur champ de pensée pour la limiter à des formules frappantes et des idées englobantes (...) Je pense que le rétrécissement de leur parole est une pré-condition de leur exposition."

L'occasion de revoir notre émission avec Aude Lancelin, directrice adjointe de la rédaction de L'Obs, et l'écrivain Edouard Louis : "Néroréacs : « Avant, ils doutaient de leurs pulsions »"

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