"Censure" du Média ? Ou l'éternel flou de YouTube

Juliette Gramaglia - - 41 commentaires

Depuis ce 19 janvier, un édito en vidéo de Denis Robert, patron du Média, n'est plus visible sur YouTube par les moins de 18 ans. Au Média, on parle d'une "censure politique". ASI a (de nouveau) essayé de comprendre l'obscure politique de modération de YouTube.

Ce dimanche 19 janvier, Denis Robert, directeur de la rédaction du Média, publie un édito saignant contre Emmanuel Macron, sous forme de vidéo, titré "En marche vers l'affrontement total". Il y dénonce la manière dont le président impose son projet de réforme des retraites malgré les contestations, et la répression policière face aux manifestants. Quelques heures plus tard, et après "50 000 vues en quatre heures sur YouTube", dit Robert, la vidéo est soumise à une "limite d'âge" : elle n'est plus visible par les utilisateurs qui ont moins de 18 ans. Concrètement, pour pouvoir accéder à la vidéo, il faut donc se connecter avec un compte Google/YouTube, contrairement à une vidéo normale qui peut se regarder sans être connecté. Puis, sous la mention "cette vidéo peut être inappropriée pour certains utilisateurs" qui s'affiche à la place de la vidéo, il faut cliquer sur "je comprends et je souhaite poursuivre". Par "certains utilisateurs", il faut comprendre les moins de 18 ans, selon les règles d'utilisation de la plateforme. 

Par ailleurs, la restriction d'âge ne permet plus de partager la vidéo : ainsi, sur l'application YouTube pour smartphone, la petite flèche accompagnée de la mention "partager" a disparu (on peut évidemment toujours copier-coller l'URL, mais la démarche est moins aisée sur smartphone que sur ordinateur). Une impossibilité que semble découvrir Charles Savreux, de la communication de YouTube, contacté par Arrêt sur images. Mais il confirme qu'une restriction d'âge pousse l'algorithme de YouTube à ne plus autant proposer la vidéo dans ses suggestions.

Une restriction aux motifs flous

C'est loin d'être la première fois que les vidéos du Média se retrouvent sous restriction d'âge. En janvier 2019, déjà, plusieurs vidéos avaient été visées par cette mesure, comme nous vous le racontions, pour des motifs incertains (du contenu "à caractère sexuel" avait été signalé, dans des vidéos qui ne contenaient rien de sexuel - il s'agissait de vidéos sur les manifestations de Gilets jaunes).

Et aujourd'hui ? Ayant fait appel de la décision, Le Média a reçu ce message pour le moins elliptique : "Après avoir examiné plus attentivement votre vidéo, nous avons déterminé qu'elle risque de ne pas convenir à tous les publics, malgré le fait qu'elle respecte le règlement de la communauté. Une limite d'âge a donc été appliquée", explique la plateforme.

Du côte du Média, on remarque un schéma récurrent : "C'est toujours la même configuration : on met des vidéos en ligne, qui sont tout de suite beaucoup regardées", assure le community manager Lucas Gautheron à Arrêt sur images. Mais cette visibilité, des milliers voire des dizaines de milliers de vues en quelques heures, est alors suivie d'une restriction d'âge. La raison, selon lui ? "Il y a des gens qui se mobilisent pour la signaler" - des militants et sympathisants LREM, selon le Média, la font circuler pour qu'elle soit visée par de multiples signalements. "C'est un vrai problème pour la progression des vues", regrette Gautheron. "Mais c'est aussi un préjudice financier réel. En effet, les vues nous permettent de récupérer des dons, ça peut nous ramener quelques milliers d’euros. YouTube ne se donne pas les moyens de vérifier les signalements, et ils sont potentiellement instrumentalisés par ce type d’action". Denis Robert, lui, en est persuadé : il s'agit de "censure", d'une "volonté délibérée de bloquer le contenu"

Un signalement ou 100, du pareil au même ?

L'explication pourrait se trouver à la fois dans le règlement de YouTube, et dans l'opacité des politiques de modération de la plateforme. La page d'aide de YouTube explique ainsi que sont soumis à limite d'âge les vidéos qui contiennent du "langage vulgaire", des "images violentes et choquantes", de la "nudité et contenu à caractère sexuel", une "représentation d'activités malveillantes ou dangereuses". Dans l'édito de Denis Robert, on trouve quelques secondes de vidéos de violences policières, qui pourraient s'apparenter à des "images violentes et choquantes"e. La plateforme inclut en effet dans les contenus "choquants ou violents" les "vidéos, sons ou images [...] de manifestations ou d'émeutes, de vols, d'actes médicaux ou d'autres scènes similaires dont le but est de choquer ou d'inspirer du dégoût aux spectateurs".

Seraient-ce donc ces quelques images sur les violences policières, dont l'intérêt public n'est plus à prouver, qui ont poussé YouTube à instaurer une limite d'âge sur la vidéo ? Contactée, la plateforme a, comme toujours, rappelé qu'elle ne s'exprimait pas sur les "cas particuliers". Charles Savreux, de la communication de YouTube, assure que chaque signalement, qu'il soit fait par un utilisateur ou par l'algorithme de détection automatique de la plateforme, est étudié par un employé avant qu'une décision ne soit prise. "Ce n'est pas parce qu'il y a eu x milliers de signalements en quelques minutes que les modérateurs se diront que c'est une vidéo à regarder en priorité", assure-t-il - réfutant ainsi qu'un signalement en masse, par des "militants LREM" comme l'assure Le Média, ait pu jouer dans la restriction d'âge. Savreux évoque plutôt des "priorités" données à certains types de vidéos, comme celles étant signalées pour "terrorisme", par exemple.

Les vidéos de l'afp sur les violences policières diffusées sans entraves

Restriction n'est pas non plus démonétisation ou suppression de la vidéo (ou de la chaîne s'il y a "récidive"), insiste-t-il également. Pour rappel, une démonétisation consiste à retirer d'une vidéo la possibilité d'y adjoindre une publicité avant ou après, pubs dont une partie des revenus reviennent au créateur de la vidéo. "On travaille avec des annonceurs qui n'ont pas envie d’être associés à l'ensemble des contenus. Il peut donc y avoir de notre part une démonétisation de vidéos", explique Savreux, manière de dire que la plateforme privilégie ses annonceurs plutôt que ses créateurs.

Mais pourquoi Le Média et RT Francevoient-ils deux de leurs récentes vidéos évoquant les violences policières restreintes sur l'âge, quand les vidéos de l'AFP, sur le même sujet, sont diffusées sans entraves ? Savreux botte en touche : "Il existe des critères précis, définis par nos équipes de modération". Quels critères ? Mystère. L'équipe de modération pourrait-elle en parler plus précisément ? Non. Comme pour les "cas particuliers", le flou reste entier. Charles Savreux rappelle que les vidéos représentant des violences ne sont pas forcément supprimées, mais signalées comme n'étant "pas adaptées pour un public plus jeune". "Un contenu peut aussi respecter nos conditions d’utilisation tout en étant 'borderline'. Il reste en ligne, mais avec une limite d'âge". Exactement ce qu'il semble s'être passé dans le cas du Média.

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