Campagne Macron : les vraies-fausses photos de presse de Soazig de la Moissonnière

Manuel Vicuña - - Déontologie - 16 commentaires

Ses photos "cool" et "sympa" du candidat Macron ont inondé les médias pendant toute la course à la présidentielle. Seul hic : lors de la campagne, Soazig de la Moissonnière était rémunérée par En Marche pour ses photos. Ou comment le service de com' d'un candidat est parvenu à faire passer du publireportage pour du photojournalisme.

Parmi les surprises que réserve l'examen des comptes de campagnes d'Emmanuel Macron, il y a donc celle-là. Dès fin mai 2016, la photographe Soazig de la Moissonière avait signé un contrat de prestation de service avec le futur vainqueur de la présidentielle. Celle qui a été nommée, une fois Macron élu, photographe officielle du président de la République, était donc rémunérée par En Marche bien avant l’élection. 

C’est ce que relate Le Mondece jeudi. Le quotidien explique qu’entre juin et juillet 2016, et alors que Macron était encore en poste à Bercy, la photographe a été payée 4 000 euros par mois pour des reportages photo réalisés "dans le cadre de la valorisation et de la communication du mouvement En Marche !", selon les termes du contrat. Le Monde évoque la signature d’un contrat de prestation de services à durée indéterminé et des versements réguliers "qui grimpent à 5 000 euros par mois" en février 2017, au plus fort de la campagne, "quand elle réserve la quasi-totalité de son travail à En Marche !"

Une photographe qui cultive le flou

Un mouvement politique qui se paie les services d’une photographe pour magnifier l’image de son candidat  ? Rien de nouveau, si durant toute la campagne n’avait régné le plus grand flou concernant le statut exact de la photographe qui se définissait simplement sur Twitter comme "embedded with Macron". "Le flou sur la place qu’occupait Soazig de la Moissonnière a animé les discussions des photojournalistes pendant la campagne. Etait-elle une consœur qui bénéficiait d’un accès privilégié au candidat Macron ? Travaillait-elle pour le mouvement ?" résume Le Monde ce 3 mai.  Certes, il y avait des indices. 

Avant d’être la photographe attitrée de l’Elysée et de tirer le portrait officiel du président, Soazig de La Moissonnière a bénéficié d’un accès ultra privilégié au candidat durant toute la campagne. Alors que bon nombre de photographes de presse étaient tenus à distance du candidat, elle a pu suivre pas à pas Macron côté coulisses, au plus près, de la première "grande marche" de mai 2016 jusqu’à la cérémonie de mai 2017 au Louvre. "Dans la profession, dès les premiers jours ça n’a échappé à personne", raconte à Arrêt sur images Nicolas Jimenez, le directeur de la photo du journal Le Monde. "Lors de certains déplacements, dans les services photo on avait tous les mêmes clichés d’Emmanuel Macron pris d’hyper loin, derrière le service de sécurité. Et puis il y avait cette photographe qui avait les photos de Macron depuis les coulisses, au plus près, arrivant tout sourire, saluant ses proches. On s’est assez tôt demandé quel était son statut exact."

des images de com' distribuées comme des photos de presse

Visiblement, cette interrogation n’a pas taraudé tout le monde. Car durant toute la campagne présidentielle, les clichés de la photographe "embedded with Macron"alors inconnue du grand public, ont inondé les pages des journaux et magazines, comme s’il s’agissait d'authentiques photos journalistiques.  De La Croix à L’Huma en passant par le site de France Culture et des Inrocks, nombreux sont les médias a avoir utilisé comme photos de presse les images de communication réalisées par la photographe sous contrat avec l'équipe d'En Marche.  

Autant de clichés qui n'ont pas été crédités comme ce qu'ils étaient, à savoir des photos du service de communication du candidat, mais comme des images d'actualité  émanant d'IP3 et de MaxPPP, deux agences de photos de presse. Comment cela se fait-il ? C’est que durant une bonne partie de la campagne présidentielle, Soazig de la Moissonnière, photographe freelance qui en 2012 avait déjà réalisé l'affiche du candidat Bayrou,  était parallèlement en contrat avec IP3 une agence de presse parisienne parfaitement classique. Laquelle agence, en partenariat avec un grossiste de la photo de presse (l'agence Max PPP) a distribué ses photos de "reportage" aux médias comme n'importe quelles photos d'actualité. 

"jamais de réponse claire sur son statut"

"Sauf erreur, nous à Libé on n'a pas utilisé de photo de Soazig de la Moissonnière, d'une part parce qu'on avait nos propres photographes, et parce que ça nous semblait clair qu'elle bossait pour Macron", confie à Arrêt sur images, Lionel Charrier, directeur du service photo de Libération. Au Monde, Nicolas Jimenez raconte : "J'ai demandé à plusieurs reprises aux agences de nous donner des précisions sur le statut exacte de Soazig de La Moissonnière. Ça ne nous semblait pas limpide." Résultat ? "Du côté du distributeur, on ne nous a jamais apporté de réponse claire. On nous a laissé entendre qu'elle faisait un travail de photojournalisme, qu'elle n'avait pas de lien avec En Marche, mais sur le terrain nos photographes voyaient bien que c'était une autre histoire. Dans le doute, on a préféré ne pas diffuser ces photos comme des photos de presse" explique le directeur photo du Monde

IP3 était-il au courant que Soazig de la Moissonnière était missionnée par En Marche ?  Auprès du Monde, le directeur de l'agence  IP3, Christophe Bertolin s'est défendu d'avoir eu connaissance du contrat qui liait alors la photographe à l'équipe Macron . "Si j’avais su qu’elle était payée par l’équipe Macron dès cette époque, jamais nous n’aurions rediffusé ses images. Déontologiquement, cela pose problème. Il y a conflit d’intérêts." reconnaît le directeur de l'agence de photos de presse, qui assure avoir depuis cessé la distribution de ces images. 

Pourtant la double casquette de Soazig de la Moissonière durant la campagne présidentielle avait été révélée depuis un moment déjà. Avant que Le Monde ne se penche cette semaine sur les factures de la campagne d'En Marche, L'Expressavait déjà consacré en juin 2017 un article  "aux rémunérations" de la photographe d'Emmanuel Macron. 

L'hebdo y révélait déjà que Soazig de la Moissonnière avait "été rémunérée par En Marche!, en tant que «prestataire»". L'Express citait au passage les explications du service de presse d'En Marche qui affirmait que "les clichés réalisés étaient destinés à un usage interne, mais ses photos étaient diffusées à la presse, notamment à l'occasion de divers événements, comme les rencontres d'Emmanuel Macron avec François Bayrou ou Angela Merkel"

D'ailleurs un mois avant son article mettant au jour la double casquette de Soazig de la Moissonnière, L'Express lui même n'avait pas hésité à reprendre une quinzaine de clichés de la photographe embedded, tous crédités IP3/MaxPPP pour illustrer "la longue marche d'Emmanuel Macron vers l'Elysée".  Ou comment le service de com' d'un candidat est parvenu à faire passer du publireportage pour du photojournalisme. 

Contactée par Arrêt sur images, Soazig de la Moissonnière nous a fait savoir qu'elle n'avait "pas pour habitude de répondre aux interviews"

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